Les artistes égocentriques et pas à la hauteur de leurs ambitions sont peut-être les plus horribles personnes que la terre ait portées. Pourtant, il y a encore plus insupportable ! Finalement le pire, ce sont les artistes pas du tout à la hauteur de leurs ambitions mais qui avaient encore de l’inspiration jusqu’à récemment. Parce qu’on sait qu’ils sont capables de grandes et belles choses mais qu’ils ont également les capacités de se planter de manière mémorable et donc dans les grandes largeurs.
Autechre rentre malheureusement dans ce cas de figure. Si leur discographie jusqu’au milieu des années 2000 se tient à peu près bien (et encore, il y a des choses à redire), cela devient une vraie foire à la saucisse en termes de qualité après. Des disques trop longs qu’on croirait principalement constitués de chutes (des ratés de leurs logiciels ?), des retours aux sources inutiles, peu de morceaux transcendants... Seule exception, Exai qui, certes, n’inventait rien mais permettait au duo de sortir enfin un skeud tenant à peu près la route.
De toute manière, si on veut être honnête, Sean Booth et Rob Brown n’ont plus la créativité d’antan. Leur musique n’évoluant plus depuis Draft 7.30. Tout ce qui arrive avec ce disque n’est qu’une affaire de perfectionnement et de radicalisation sonore. Tous ceux qui m’ont lu sur le sujet sont probablement en train de penser que je radote. Sauf que cette démarche radicalisée est une des explications du ratage monumental qu’est elseq 1–5 (ou elseq 1, 2, 3, 4 et 5 si vous préférez, l’album étant divisé en 5 sorties sur leur site officiel mais considéré comme un quintuple album par votre serviteur).
Premièrement dans ce qui ne va pas : la durée. Car nous avons cinq disques de plus de QUATRE HEURES DE MUSIQUE ÉLECTRONIQUE EXPÉRIMENTALE ET INAUDIBLES. Déjà qu’Autechre n’a jamais fait une musique universelle, alors la proposer dans un format aussi long est très risqué. C’est presque une garantie qu’aucun tri ne sera fait entre les pièces intéressantes et celles dont l’intérêt est inexistant. Surtout que ce n’est pas comme si le format double et triple album avait donné beaucoup d’œuvres impérissables dans le passé. C’est à croire que les artistes ont la mémoire courte actuellement (les Swans étant aussi concernés par cette erreur).
Deuxièmement dans ce qui ne va pas : l’entité bicéphale de l’électro d’avant-garde s’est tellement enfermée dans son style qu’elle n’a justement plus rien d’avant-gardiste. Toutes ces sonorités grésillantes, ces rythmiques aliens, on les a déjà entendues chez eux et aussi chez d’autres (notamment dans la dub techno) ! Un exemple ? La rythmique "ping-pong" de « c16 deep tread ». Monolake l’a faite sur le monumental « Cern » (tiré du non moins génial Momentum). Du côté des Allemands, c’est un moment incroyable. Une musique futuriste, dotée d’une ambiance froide et pourtant saisissante. Alors que chez les Anglais, c’est laborieux, sans vie et d’une longueur injustifiée (plus de 12 minutes !).
On en arrive donc au troisième point faisant de elseq 1–5 une purge sans nom : C’EST CHIANT.
Pourquoi est-ce si ennuyeux ? Parce cette musique ne possède pas la moindre surprise, la moindre prise de risque, la moindre accroche (qu’elle soit mélodique ou rythmique), la moindre atmosphère et, par conséquent, la moindre âme. Ce qui m’oblige à faire un petit aparté : je n’aurais jamais cru qu’une telle sortie puisse être autant plébiscitée (si bien que j’ai cru à une hallucination collective).
A en croire les quelques critiques que j’ai pu lire après sa parution, nous aurions affaire à un pavé d’une ambition et d’une beauté folle. Habituellement, j’aime bien lire les autres avis sur des disques que j’aime ou que je déteste. Pas forcément pour me conforter dans mon opinion, mais justement pour savoir ce qui fait vibrer les autres. Car les raisons varient très souvent selon les personnes, même quand on est d’accord sur la qualité d’un album (ce qui confirme à quel point tout est subjectif dans l’Art). Hélas, dans le cas d’elseq, je dois admettre que je suis resté sur ma faim tant les arguments déployés étaient loin de me convaincre.
Au final, prendre cette création comme la bande son idéale d’un cauchemar digital est peut-être ce qu’il y a de plus pertinent… Encore faudrait-il que de telles images nous viennent en tête. Puisque l’inconvénient d’une telle œuvre abstraite, c’est de ne rien évoquer. Mise à part le son que produirait votre ordinateur victime d’un bug surpuissant (« eastre »).
C’est à cet instant que l’horrible vérité m’est apparue : tout l’intérêt du dernier méfait d’Autechre tient dans sa démarche. Dans sa maîtrise technologique aussi spectaculaire que vaine. Dans son propos extrême qui n’aura pour but, au final, que de servir de papier peint sonore pour des représentations d’art contemporain (« elyc6 0nset » est impressionnante si vous avez une fascination malsaine pour le vide et les sonorités aberrantes). Bref, une justification qui fait passer la musique au dernier plan et qui permet la naissance de tout ce qui est peut-être le plus inepte.
L’IDM n’était pas un genre éternel et il devait, un jour ou l’autre, finir par atteindre ses limites (déjà visibles dès le départ). Donc que plusieurs de ses principaux instigateurs finissent par s’enfoncer dans la vacuité en ces années 2010 était prévisible. Cela reste dommage qu’Autechre et Aphex Twin n’aient pas été capables de dire stop avant comme a pu le faire LFO.
L’IDM est donc mort. Alors vive heu… Les bruitages informatiques ?
Chronique consultable sur Forces Parallèles.