Thiéfaine reste une anomalie dans la chanson française, un artiste qui a fait carrière sans l’appui des grands médias, ses passages télés et interviews sont rares (je me souviens d’une participation à « Taratata », il y a un bout de temps…) mais la ferveur du public est toujours là aujourd’hui, un public qu’il a même réussi à rajeunir, des parents ayant fini par emmener leurs enfants à ses concerts ! Il se définit lui-même avec pas mal de lucidité, et d’humour, dans une de ses chansons : «J'suis qu'un vieux désespoir de la chanson Française » («Was ist das rock'n'roll »). Entre très bons albums studio et excellents concerts, il a tracé sa voie, fils improbable de Ferré et Dylan, et pour ses 20 ans de carrière le 11 décembre 98, il organise un grand concert à Bercy, rien que ça et bien entendu, les fans sont là, 15 000 personnes pour faire la fête !!! Le concert est fantastique, bien plus long que d’habitude (il fallait au-moins plusieurs heures pour parcourir cette carrière !), entre mélancolie profonde et poésie acide, folie douce et guitares crachantes. Quant au public, il est aux anges et apporte une chaleur brûlante en reconnaissant tous les morceaux dès les 1ères notes et en étant capable de chanter toutes la paroles (et on sait que Bercy n’est pas une salle forcément facile à « chauffer », certains artistes s’y sont cassé les dents…). Côté musiciens, de très très bons grâce au duo Marzin/Chauvin aux guitares, la rythmique est solide, métronomique, le son chaud. Et bien sûr, la voix, cette voix amère et désabusée, qui déraille parfois mais jamais trop... ou jamais assez.
Pour que la fête soit totale, Hubert-Félix invite même ses vieux complices des années 70, le groupe Machin (belle surprise) et preuve qu’il n’oublie pas ses racines. Alors, évidemment, impossible de lister tous les moments forts car on pourrait (presque) reprendre l’intégralité de la setlist ! Mais «Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable » est sans aucun doute un des sommets de cette prestation magique, symbiose parfaite entre un artiste et son public. On peut juste regretter que le DVD possède 5 titres en moins que le double CD (pourquoi ???) et que le son montre un peu d’écho sur la voix. Et puis, marquer sur la pochette «Orphée nonante nuit » à la place de « Orphée nonante huit » ne fait quand même pas super sérieux ! Ce sont des petits détails et ce qu’on retient, c’est une soirée grandiose avec un artiste d’exception qui n’a jamais cédé aux « sirènes commerciales », affadi sa musique et ses textes, pour passer à la télé et à la radio (après tout, Thiéfaine aurait pu le faire, beaucoup d’autres y ont cédé). Non, Hubert-Félix est trop intègre, intransigeant, honnête (appelez-ça comme vous voulez) pour se laisser aller à de tels travers. Il n’est pas là pour caresser le public dans le sens du poil et ça fait bientôt 50 ans que ça marche ! Thiéfaine ou la preuve qu’il ne faut jamais désespérer du public !