Une fois n’est pas coutume nous allons nous éloigner un peu du rock traditionnel.
Il faut dire que Mick Harris est un cas à part dans l’univers musical de ces quarante dernières années. Après avoir été batteur du cultissime Napalm Death pendant six années et participé aux trois premiers albums de la formation anglaise, pionnière et fondatrice du grindcore, genre musical extrême mixant le plus ultime du métal avec le plus violent du punk hardcore, auquel il va donner ses bases musicales (et Napalm Death fut sans doute le groupe le plus brutal des années 1987-1990), il décide de partir pour s’orienter vers quelque chose non seulement de nouveau mais se situant à son exact opposé musical.
En effet, en 1991 Mick Harris , après avoir quitté Napalm Death, puis participé avec John Zorn à Painkiller, improbable et déjanté combo de jazz-grind, Mick Harris donc fonde Scorn, rapidement rejoint par Nike Bullen (un autre ancien de Napalm Death des tout débuts ), auxquels se joindra occasionnellement, notamment sur le premier disque, Justin Broadrick (guitariste/chanteur de Godflesh et lui aussi ex Napalm Death !!!).
Aussi incroyable que cela puisse paraître on a du mal à croire que ce sont deux anciens de Napalm Death et de sa période grindcore la plus ultime, celle de « Scum » et de « From Enslavement to obliteration », qui sont à l’origine de Scorn et d’un tel son.
Dans une interview Mick Harris déclarait, de mémoire, qu’après avoir joué dans les années 80 dans le groupe considéré comme le plus violent et le plus rapide du monde, il voulait créer quelque chose à l’opposé, plus calme, plus lent, plus atmosphérique, presque planant et « cool ». Tout en gardant une ambiance propre au rock industriel qui en est alors quasiment à ces débuts.
D’ailleurs j’avoue que si j’ai découvert le groupe c’est au départ uniquement pour la curiosité de voir ce que Bullen et surtout Harris, batteur fou de grindcore, allaient faire dans une direction musicale radicalement différente et l’impression que j’ai eu il y 25 ans en écoutant cet album (surprise et originalité) reste la même aujourd’hui, une sorte d’envoûtement, la magie fonctionne toujours et le charme opère plus que jamais.
Scorn propose en effet quelque chose entre électro, dub, ambiant, musique planante, avec un côté industriel/noise expérimental mais le tout reste nettement plus sombre et hypnotique que « dance » (heureusement d’ailleurs !) avec néanmoins quelques influences rythmiques qui sonnent « hip hop ». Mais on est plus dans les univers d’un Einstürzende Neubauten que d’un Daft punk. Car la musique de Scorn bien qu’électronique est résolument cérébrale et anti-commerciale. En tout cas pas forcément facile d’accès.
Les samples sont excellents, assez originaux, des boucles répétitives et hypnotisantes avec de très bonnes compositions, bien maîtrisées et de qualité, et on ne peut que constater qu’une ambiance particulière se dégage de l’album. Froide et surtout mystérieuse.
Sorti en 1994 « Evanescence » est le troisième enregistrement du groupe, le dernier avec Bullen, Harris continuera seul l’aventure et alors que le premier disque « Vae Solis » sonnait encore relativement métal (industriel), ici plus de trace de guitare, tout est électronique, le groupe a évolué vers des sons uniquement électro-dub-industriel-planant-ambient-expérimental.
Un univers musical propre qui au départ il faut bien le dire n’est absolument pas le mien mais objectivement on a ici quelques titres vraiment très bons.
Les trois premiers morceaux sont des mises en bouche mais pour les meilleurs titres il faut attendre l’excellent et hypnotique « Automata » qu’on pourrait presque croire sorti d’une B.O de film d’horreur tant l’atmosphère y semble inquiétante, avec un je-ne-sais-quoi qui vous met mal à l’aise.
Puis arrive l’une des deux pièces maîtresse « Dreamspace » et ses boucles répétitives à l’infini , synthétiques et d’une froideur glaciale.
L’autre grand morceau étant « Night Tide » aux samples assez flippants, quasi psychédéliques.
Enfin citons « The end » aussi planant et spatial que somptueux, atmosphérique et envoûtant je dirais.
Comme si on naviguait dans des contrées inexplorées…
Petit bémol, le chant, presque anecdotique et bien qu’il soit largement mis en retrait, aurait gagné à être réduit encore tant il n’apporte pas grand chose.
Et puis j’adore la pochette, elle a quelque chose de très spécial qui colle parfaitement à « Evanescence ».
Une réussite et un univers musical à découvrir. Et attention car une fois que vous aurez apprivoisé la « chose », plus moyen de s’en défaire !
Comme quoi la musique électronique peut aussi parfois être originale et de qualité avec des compositions et une recherche artistique d’une grande exigence.
Chronique écrite en 2020 et enrichie en 2022 (parue dans le webzine Rock Alive)
https://lennon62.wordpress.com/2022/04/03/scorn-evanescence-1994/
Automata
https://www.youtube.com/watch?v=K2lq2lU-YVQ&list=OLAK5uy_mPUmobKjeupr1Ro6Axd2OKujM7QnljcUs
Dreamspace
https://www.youtube.com/watch?v=136JBbBGzEU&list=OLAK5uy_mPUmobKjeupr1Ro6Axd2OKujM7QnljcUs&index=6
Night tide
https://www.youtube.com/watch?v=ZARO5n-C_wU&list=OLAK5uy_mPUmobKjeupr1Ro6Axd2OKujM7QnljcUs&index=8
The End
https://www.youtube.com/watch?v=26gYM4xrRo8&list=OLAK5uy_mPUmobKjeupr1Ro6Axd2OKujM7QnljcUs&index=9