Nous sommes dans le club du Village Gate en août ou septembre 61, on ne sait pas trop, ses bandes ayant été perdues puis retrouvées, mais Coltrane a joué un mois dans cette salle. Il a quitté le groupe de Miles Davis depuis un an pour se consacrer à sa propre musique et suivre une voie toute personnelle. Il a joué avec plusieurs sidemen avant de trouver la formation qui lui convient, un quintette comprenant McCoy Tyner au piano, Reggie Workman à la basse et Elvin Jones à la batterie ainsi que Eric Dolphy, multi-instrumentiste qui est aussi innovant et expérimental que Coltrane et en cela, les 2 s’entendent à merveille, ce dont ce live témoigne. Dolphy se retrouve donc à alterner la flûte, le saxophone alto et la clarinette basse. En mars 61, Coltrane avait triomphé avec « My Favorite Things », un gros succès populaire, une mélodie de comédie musicale que tout le monde connaît avec laquelle il ne cessera de jouer (jusqu’à son tout dernier concert), l’emmenant toujours plus loin. La version du morceau interprétée au Village Gate dure presque 16 mn (14 mn sur l’album studio donc encore assez proche) mais il lui arrivera de faire bien plus long. De Atlantic Records, Coltrane signe alors chez Impulse ! et les disques sous son nom sortent les uns après les autres, dont beaucoup sont tirés de bandes de sessions stockées et publiés simultanément par divers labels désireux de tirer parti de sa popularité grandissante.
Coltrane atteint là une célébrité importante mais entraîne aussi de plus en plus une large incompréhension dans le public et suscite de vraies controverses, beaucoup de critiques (et même de musiciens) ne comprenant pas que Coltrane est désormais lancé sur une voie qui le voit explorer des terres jusqu’ici inconnues, en studio et plus encore sur scène. Il n’en est alors qu’au début de ses expérimentations. Ces enregistrements ont une valeur historique et complètent parfaitement la discographie déjà vaste des concerts de Coltrane. Les morceaux reflètent le répertoire de Coltrane cette année-là, y compris ceux qui l'ont marqué pour longtemps - My Favorite Things, Impressions - et ceux qui ne l'ont pas fait, comme Greensleeves et Africa, ce dernier n'ayant jamais fait l'objet d'une publication en concert. C’est la pièce la plus importante de l’album. Quant à «When Lights are Low » signé Benny Carter, il met particulièrement en valeur Dolphy dont on sent que le lien avec Coltrane a été étroit et profond et ce dernier a parlé de lui en interview comme d’un « membre de la famille », rien que ça. Heureusement que ces bandes ont pu être retrouvées, même si le son n’en est pas absolument parfait, leur valeur historique est indéniable et complètement bien le coffret 7 CD « European Tour 1961 ».