Les Lemon Twigs, c’est compliqué : deux frères, Michael et Brian D’Addario, obsédés par la musique, ou plus exactement par la pop “Classique” des années 60 – 70, tout au moins avant que le punk ne vienne chambouler les codes (on imagine d’ailleurs que le punk rock est une chose parfaitement haïssable pour nos deux frères !). Mais aussi deux frères marqués à vie par le destin de leur père, musicien doué mais n’ayant jamais rencontré le succès, qu’il convient d’honorer, de respecter, voire de réhabiliter. Donc, plus loin de l’esprit rebelle, rock’n’roll, impossible ! Et d’ailleurs quand le plus jeune, Michael, se laissait aller à singer le glam rock, voire à jouer du hard rock, il était difficile de ne pas trouver dans son attitude quelque chose d’artificiel, de forcé. Au fil de concerts irréguliers – certains géniaux, d’autres médiocres -, on était venu à penser que le vrai génie du duo, c’était bel et bien Brian, de deux ans l’aîné, dont l’amour pour les Beach Boys ou Simon & Garfunkel se traduisait plus naturellement en chansons « classiques ».

L’excellente nouvelle de Everything Harmony, le cinquième album des Lemon Twigs, qui plus est après une pause de trois ans, c’est que les deux frères semblent cette fois parfaitement alignés sur un axe pop sixties calme et raffiné, sans – ou presque – se laisser aller à ses excès qui « faisaient tache ». La moins bonne, c’est que du coup, et en dépit d’une belle qualité mélodique – et vocale (car tout ça est formidablement bien chanté !) – il règne sur les 48 minutes de l’album un sentiment un peu gênant d’uniformité, voire de… conformisme par rapport aux canons du genre. Ce qui fait qu’on pourra, suivant son humeur, d’une écoute à l’autre, trouver ce disque parfait, ou au contraire un tantinet ennuyeux, en particulier en son milieu (son ventre mou ?) qui manque d’énergie, et qui n’est clairement pas aussi ludique que ses prédécesseurs. Everything Harmony est un album plus retenu et dépressif que ce à quoi les Lemon Twigs nous ont habitués jusqu’alors.

Le second titre, le lumineux In My Head, est en ce sens emblématique : derrière l’une des mélodies des plus réussies, se cache une humeur sombre, voire franchement noire : « In my mind, in my mind / There is sadness all the time / And I keep the things I find / In my mind, in my mind / And never do I share these things with anyone / The feeling is cold and I’m afraid / Strangers passing » (Dans mon esprit, dans mon esprit / Il y a de la tristesse tout le temps / Et je garde les choses que je trouve / Dans mon esprit, dans mon esprit / Et je ne partage jamais ces choses avec personne / Le sentiment est froid et j’ai peur / Des inconnus qui passent). On remarque alors le titre du septième morceau, Every Day Is The Worst Day Of My Life, qui répète inlassablement cette affirmation déroutante, ne laissait rien présager de bon…

Il est toujours intéressant d’écouter plus attentivement ce que disent les textes de la chanson éponyme dans un album : sur une mélodie guillerette, Everything Harmony peint un tableau en demi-teinte d’une vie qui pourrait bien être celle des deux frères, obsédés et par la ville et par la musique. Il résume parfaitement le propos de l’album, c’est-à-dire l’importance de l’harmonie musicale, qui ne saurait toutefois compenser la tristesse infinie de l’existence. « I like the screen when it’s grainy / I don’t laugh when somethings not funny / And I’m so obsessed when it’s / Everything harmony / I like the hair when it’s flowy / And I like the song when it’s dreamy / … / All the time / All the times I cry / All the times I cry today » (J’aime l’écran quand il y a du grain / Je ne ris pas quand quelque chose n’est pas drôle / Et je suis tellement obsédé quand / Tout est en harmonie / J’aime les cheveux quand ils flottent / Et j’aime les chansons quand elles sont rêveuses / … / Tout le temps / Toutes les fois où je pleure / Toutes les fois où je pleure aujourd’hui).

Il faut attendre le cinquième titre, What You Were Doing, pour que les guitares électriques soient enfin de sortie, et encore, soyons clairs, nous sommes plus dans le registre des Byrds que des guitar heroes du classique rock. Il n’empêche que ça fait du bien à entendre, on dirait du R.E.M. de la grande époque avec de superbes harmonies vocales…

What Happens to a Heart ne craint pas d’être qualifié de pompeux, et marque une rupture bienvenue avec la subtilité intimiste qui a précédé. Dans un registre similaire, Born To Be Lonely a tout d’un classique de Broadway, et constitue probablement le point du disque où les frères sont le plus proche du pastiche gratuit. Même s’il y a dans le chant une sincérité de l’émotion qui nous empêche tout cynisme…

Ghost Run Free est une réussite complète, les Lemon Twigs retrouvant la grâce de leurs meilleures compositions : une mélodie irrésistible, des harmonies vocales et cette énergie de la jeunesse qui a toujours fait passer la pilule de leurs pires excès. Cette chanson, à elle seule, prouve que le côté « passéiste » et sage de Everything Harmony n’est probablement qu’une phase transitoire, et que les Frères D’Addario nous reviendront vite avec un nouvel album, plus ouvert vers l’avenir.

Oui, les Lemon Twigs, c’est compliqué et, finalement, c’est très bien comme ça !

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/05/08/the-lemon-twigs-everything-harmony-deux-freres-compliques/

EricDebarnot
7
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le 8 mai 2023

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Eric BBYoda

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