Everything Remains… the Same
Dans la musique, on trouve généralement deux types de groupes ou artistes. D’un côté, ceux qui innovent à chaque album et évoluent sans cesse, avec plus ou moins de succès (Ulver en est un excellent exemple), d’autres qui, sans changer de registre, apportent de nouveaux éléments à leur musique (des groupes comme Agalloch). De l’autre côté, les groupes qui restent dans le même style et proposent plus ou moins la même recette à chaque galette. C’est parfois couronné de succès, la qualité restant stable (Opeth), mais souvent lassant et répétitif, ce qui pousse l’auditeur à s’écarter du groupe (Korpiklaani). Ce n’est pas la démarche qui va définir la qualité d’un album, on en trouve d’excellents dans les deux cas.
Eluveitie, après avoir échoué dans sa tentative de proposer un album entièrement folk avec Evocation I - The Arcane Dominion, continue donc de proposer la musique qui lui a permis d’être propulsée sur le devant de la scène metal, signant dès son second album avec le géant Nuclear Blast. Le bilan de cet album folk est en effet très mitigé chez les fans du groupe, j’en ai personnellement été déçu, mais ce n’est pas lui qui est l’objet de cette chronique, je ne vais donc pas m’y attarder outre mesure. Everything Remains as It Never Was se veut donc dans la continuité des deux premiers albums du groupe. Le problème d’Eluveitie, c’est qu’en innovant avec Spirit en 2006, qui apporte un certain renouveau sur la scène bien morne du folk metal, ils sont atteint du syndrome « premier album qui démonte, ça va être dur de faire mieux ». Slania confirme l’orientation du groupe tout en étant moins bon que le premier essai et sans rien apporter de neuf. On continue dans ce sens avec ce nouvel album.
Dès l’intro, on est en terrain connu, « Otherworld » propose un voyage en terre celte, et pourrait bien être intégré à la BO de Braveheart. Un début qui ressemble à ceux des deux premiers albums. L’album se poursuit et on trouve les mêmes ingrédients qui ont permis à Eluveitie de se faire connaître : du death mélodique combiné à de la musique folk plus ou moins entraînante, jouée par les instruments traditionnels utilisés par le groupe (vielle à roue…). On retrouve des interludes folk, pas mauvaises bien que dispensables. Ce que je retiens de ces interludes, c’est qu’elles sont meilleures que ce qu’a proposé le groupe sur Evocation I - The Arcane Dominion (particulièrement « Setlon »). En fait, lorsque le groupe annonçait un album axé sur le folk, c’est ce genre de titres que j’attendais.
Si Slania était inférieur à Spirit, il bénéficiait à mes yeux d’une grande homogénéité, les morceaux étant tous d’une assez bonne qualité, l’album contenait assez peu de « déchets ». Everything Remains as It Never Was souffre à l’inverse d’une énorme hétérogénéité, tant à l’intérieur de l’album que dans les chansons même. Si des titres comme « Nil », avec son refrain ultra-efficace et ses passages folk bien intégrés, ou « Sempiternal Embers », sont vraiment bons, d’autres comme « Lugdunon » ou « Thousandfold » sont nettement moins attrayants. Ils reprennent ce que sait faire Eluveitie, mais de façon trop stéréotypée et prévisible, ça manque de sincérité. Les autres titres sont moyens, avec de bons passages et d’autres qui font baisser la qualité du morceau. Je pense notamment au titre éponyme ou à « Quoth the Raven », que je trouve bons musicalement parlant, mais dont la voix féminine ne me conquiert pas, ou à « The Essence of the Ashes », qui commence très bien et a un riff accrocheur, mais dont les lignes de chant sont affreusement lassantes, surtout lors du refrain. Les suisses ont choisi, comme à leur habitude, de terminer l’album par un court morceau rappelant l’intro et permettant d’achever l’écoute en s’évadant deux minutes dans les contrées écossaises, ce qui ne comblera pas mon impression globale d’inachevé.
Pour conclure, je dirais que le dernier bébé d’Eluveitie reste supérieur à bien des sorties actuelles (Ensiferum, Alestorm, Korpiklaani, etc…), mais le groupe a intérêt à trouver une issue à leur principal problème, tourner en rond en proposant à chaque fois du moins bon matériel. On a ici peu d’originalité, le groupe se contente de piocher des éléments des ses deux premiers albums, avec une once d’Evocation I - The Arcane Dominion. Le son est puissant, ce qui n’est guère étonnant quand on connaît les moyens dont dispose Nuclear Blast. C’est un atout considérable pour les passages death chantés par Chrigel, on peut cependant reprocher la perte d’authenticité du côté folk, qui est en décalage avec la modernité du mixage. Je suis clairement resté sur ma faim, il va me falloir attendre les autres sorties folk de cette année (Finntroll, Agalloch, Orphaned Land, notamment), pour essayer de dégotter la petite perle du style de 2010.
Il me semble que pour noter un album, il faut tenir compte de (principalement) deux éléments. Prendre d’abord l’album indépendamment du groupe, le comparer plutôt à des productions du même style proposées par d’autres. Dans ce cas, Everything Remains as It Never Was obtiendrait un bon 13/20, il reste nettement au-dessus du lot. Mais je crois qu’il faut aussi replacer l’album dans son contexte, le comparer aux autres productions du groupe. Dans ce cas, il aurait de ma part un 12/20, restant inférieur à Slania (la comparaison avec Spirit étant hors de propos). Bon allez, pour finir sur une remarque positive, la pochette est réussie.