En bon caméléon de l’indé, Primal Scream a su nous surprendre. Changer de peau comme d’habit au point de remporter des gros succès (Screamadelica, XTRMNTR…) ou bien en ne faisant pas l’unanimité (Give Out But Don't Give Up). C’est l’inconvénient quand on mène une carrière polymorphe et qu’on ne possède pas une fanbase prête à avaler n’importe quoi.
Que se passe-t-il alors quand ils se décident de surprendre de nouveau… En ne changeant pas de créneau ? Evil Heat semble souffrir de la comparaison avec le missile qu’était leur précédent album. De toute manière, il ne vaut mieux pas comparer ce grandiose essai avec n’importe quoi au risque d’être éternellement déçu. Ce 7ème disque studio en est la suite, mais il en n’est en aucun cas la déclinaison. Les Écossais veillant à ne pas se répéter pour explorer de nouvelles manières de composer (il n'y a guère que « City » qui rappelle « Accelerator »).
Moins de techno, plus d’envie d’aller à l’essentiel et surtout, une écriture toujours de tout premier ordre. Evil Heat sert de transition entre un coup de pelle qui aura contribué à enterrer une ère et une décennie incertaine, pour ne pas dire peu excitante. Primal Scream s’en fout et s’adapte à son époque pour la transcender. Entre l’électro aux accents rétro (l’hommage évident à Kraftwerk, « Autobahn 66 », permettant au groupe de prévoir le retour en force des années 1980), le dance rock (le coup de génie « Miss Lucifer », aussi remuant qu’évident), le rock industriel (« Rise ») et d’autres curiosités (le blues électro « The Lord Is My Shotgun » dont l’harmonica est joué par… Robert Plant), le collectif s’amuse une nouvelle fois à varier les plaisirs à la manière de Gorillaz. A la différence que leur éclectisme ne dissimule pas une simple muzak à la consistance douteuse.
Depuis le début des années 2000, il est devenu encore plus difficile de savoir qui fait quoi sur les albums de cette formation à géométrie variable. Les grands noms (Kevin Shields dans le bruyant « City » ou l’un des deux frères des Jesus and Mary Chain sur le bourrin et jouissif « Detroit ») côtoyant des peoples (Kate Moss, chantant sur le sexy « Some Velvet Morning », amie de longue de date de Bobby Gillespie) et divers producteurs.
C’est pourtant bien ce magma de gens d’horizons divers qui transforme cette bande en une entité bouillonnante de talent et de créativité. Car finalement, le rock dans ses orientations les plus roots, l’électro dance et la noise, c’est la même chose. De la musique qui est là pour te faire transpirer dans une époque commençant à s’aseptiser. Au point que les représentants les plus populaires du rock d’alors sont loin de vendre du rêve en dehors de quelques exceptions.
Poussons les boutons de l’ordinateur pour partir vers une dernière rêverie synthpop (« A Scanner Darkly ») avant d’être rattrapés par notre blues urbain (le monotone « Space Blues #2 », seul moment faisant tache ici). Cette déprime signifiant que toute cette énergie déployée sert à nous défouler dans une période qui n’a jamais été autant sécurisée et balisée malgré la menace terroriste du 11 septembre 2001 (les guerres n’étant plus livrées chez nous, mais chez les autres).
Evil Heat est un anachronisme. Ce qui explique pourquoi il n’a pas su trouver complétement son public à sa sortie. L’ultime râle d’agonie d’un rock puissant qui s’éteint dans l’indifférence générale. Est-ce un hasard qu’il s’agisse de la dernière grande œuvre de Primal Scream ? Certainement pas.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.