Difficile d'écrire des mots sur un tel album, d'exprimer son ressenti alors que celui-ci est, à ce point, personnel et représente bien plus qu'un simple album de musique. Si c'est d'abord l'exil des Stones sur la Côte d'Azur, c'est aussi le mien et ce depuis le début ma primaire où j'en découvris la cassette à travers le walkman de mon père. Ce disque-là est pour moi représentatif du fait que la musique dépasse le simple cadre de quelques gars jouant ensemble d'un instrument, mais que c'est avant tout de l'émotion et dans certains cas des souvenirs bien définis qui en sont associés et Exile on Main Street en représente énormément et m'a, en plus, donné une passion pour la musique en général et les Stones en particulier.


Musicalement parlant c'est tout simplement du génie. Les Stones sont aux sommets et ce depuis 1968 et le single Jumpin Jack Flash. Paradoxalement, ce sommet arrive alors que l'un des plus importants créateurs du groupe, Brian Jones, s'éloigne de plus en plus, emportant avec lui ses expérimentations psyché. Keith Richards et Mick Jagger prennent alors le leadership du groupe, tant commercialement que musicalement et ils opèrent pour un retour aux racines dont le symbole sera le fantastique Beggars Banquet. Du rock, du blues et quelques légères teintes de folk, voilà le renouveau des Stones et c'est fabuleux. Suivra alors les non moins géniaux Let it Bleed et Sticky Fingers, qui verront arriver le jeune Mick Taylor en remplacement du fantôme de Brian Jones qui s'en ira définitivement en 1969. Dans le même temps, les Stones retrouvent des couleurs en live et on est loin du style Got live if you want it, Get Yer Ya-Ya's Out montre un groupe explosif et inspiré, prêt à en découdre et à définitivement assoir sa réputation de "The World's Greatest Rock'n'Roll Band", surtout qu'entre-temps les Beatles se sont séparés.


Puis viens les déboires, la drogue toujours en abondance et dans l'excès, les problèmes avec la justice ainsi qu'avec leur ex-manager Andrew Loog Oldham puis le fisc et enfin l'exil. C'est dans la villa louée par Keith Richards dans le sud de la France, intitulé Nellcote, que la troupe s'installera. Femmes, musiciens, drogues, divers plaisirs et autres "accessoires" du mode de vie stonien seront aussi de la partie dans ce chaud été 1971 et, une fois digérés le drame d'Altamont et leurs divers problèmes, ils pourront enfin se concentrer sur ce qui les intéresse. Les sessions furent d'ailleurs chaotiques et bordéliques, avec en prime quelques tensions au sein du groupe, d'ailleurs la genèse de cet album donnera lieu à de nombreuses légendes et polémiques.


À l'énième écoute de cet album, en plus de me laisser envahir par l'émotion, je confirme le fait que les Stones atteignent des sommets qu'ils n'approcheront plus jamais par la suite (logique vu que les sommets des Stones représentent les sommets de la musique dans sa globalité) malgré toujours quelques pépites. Ils poussent encore plus leurs limites et vont brasser toute la culture populaire américaine et Exile on Main Street représente un patchwork de toutes leurs influences, de la country au blues en passant par le rock, la soul ou le folk. Ici pas de chansons emblématiques à la Brown Sugar, Sympathy for the Devil ou autres Gimme Shelter mais un ensemble formidable et inspiré où les pépites méconnues côtoient des sommets d'intensité et d'émotion.


L'une des forces des Stones durant cet âge d'or a été son entourage musical, tant par la virtuosité que la capacité de chacun à se fondre dans le groupe. Citons les emblématiques Bobby Keys au saxophone, Jim Price à la trompette ou encore Nicky Hopkins au piano, tous se fondent dans l'ambiance et participent à l'osmose régnant au sein du groupe où Keith est inspiré comme jamais. Tous les titres de l'album portent cette patte unique où cuivre, choeur et piano viennent s'ajouter au groupe de base et cet ensemble créer un son unique, très roots, rappelant à chaque note jouée le vieux sud du Mississippi et l'ambiance redneck qui va avec, avec l'impression d'être enfermé avec les Stones pour y vivre pleinement leur musique. D'ailleurs c'est par cette ambiance si particulière, donnant des frissons à la peau, que j'aurais du mal à décrire que l'écoute entière de l'album fait prendre conscience de sa virtuosité, les Stones jouent avec leurs tripes et vont chercher l'inspiration jusqu'au plus profond d'eux-même dans cette obscure villa.


Tout semble toucher à la perfection dans cet album brut et sauvage, représentant l'essence même des Stones où l'émotion et la passion sont aux rendez-vous. S'ouvrant sur le fabuleux rock très stonien Rocks Off, toutes les chansons sont fantastiques et apportent une contribution à la réussite et l'atmosphère de l'album. Pour ce retour aux sources, ils n'oublient pas non plus de rendre hommage et sublimer certains pionniers, ici Robert Johnson avec le génial blues bien lourd Stop Breaking Down et Slim Harpo avec un autre blues Shake Your Hips, où Mick Taylor use de son feeling (comme sur tout l'album, on ne dira jamais assez à quel point il était un génie si important pour le groupe). Que ce soit lorsqu'ils entament un peu de country avec le formidable Sweet Virginia (inspiré par Gram Parsons, amis de Keith Richards et présent à Nellcote), qu'ils nous fassent entrer dans un casino de boogie-blues avec Casino Boogie, qu'ils jouent speedés avec Rip This Joint ou atteignent des sommets d'émotions avec Shine a Light ou de fabuleux rock comme Soul Survivor, ils sont, dans l'écriture, inspiré et font ressortir toutes les émotions de leur partition.


Comment ne pas aussi évoquer quelques titres comme la perle gospel Let it Loose, avec ses formidables choeurs et une sensibilité rarement vue chez les Stones, le lourd Ventilator Blues (unique contribution officielle de Mick Taylor à l'écriture) ou encore Loving Cup et ses fabuleuses notes de pianos, chansons qui, comme la majorité de cet album, sont malheureusement oubliées par le groupe en live ou dans ses diverses compilations. Pendant que Bill Wyman et Charlie Watt assurent une rythmique d'enfer, Keith et Mick Taylor sont en symbiose totale tandis que Mick Jagger chante comme jamais et assure toujours autant lorsqu'il dépoussière son harmonica. Au risque de me répéter je n'ai jamais eu la sensation d'une telle alchimie entre des musiciens (officiels + additionnels) ainsi que d'une telle émotion ressortant d'un album où celui-ci forme un tout.


Exile on Main Street représente à la fois le sommet du plus grand groupe de tous les temps ainsi que l'essence même des Stones, ses origines et influences et ils nous immergent directement dans une ambiance de redneck du vieil Alabama. Un album qui, personnellement, a dépassé le simple cadre de la musique et provoque frisson, intensité et émotion lors de chaque écoute qui ne manque pas de prendre aux tripes comme il faut.

Docteur_Jivago
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le 17 juil. 2015

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Docteur_Jivago

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