Le cas Extreme est assez délicat à aborder, car il est paradoxal à plus d'un titre. Tout débuta par un malentendu quand certains curieux, en cette fin de décennie 80, découvrent leur premier album et sa pochette oh combien ringarde aujourd'hui où les quatre gaillards prennent la pose en étant lookés dans le pire cliché Glam-Metal. De là à les prendre pour ce qu'ils ne sont pas, il n'y avait qu'un pas justement et à une époque où le genre déferle sur les ondes et dans les charts, en plaçant très haut du Billboard US les Mötley Crüe, Poison mais aussi les plus raffinés Def Leppard et Bon Jovi on se dit que ce nouveau groupe de Boston n'est qu'un énième suiveur, profitant de la popularité du genre... Or nous sommes dans le faux, et comment !


Ces quatre là aiment d'abord le Groove et le Funk, son chanteur Gary Cherone, véritable front-man à l'énergie débordante a également depuis longtemps une admiration pour Freddie Mercury et Gary saura un jour de mythique concert en hommage à son maitre à Wembley en 1992 se montrer digne de lui, mais nous n'en sommes pas encore là... Ajoutons à cela le fait qu'ils excellent dans la maitrise des techniques de guitare Metal, en particulier le soliste Nuno Bettencourt qui démontre une habilité impressionnante mais également le bassiste Pat Badger, très complémentaire dans son jeu vis à vis de son collègue. Au delà de la technique, on a aussi affaire à de véritables artistes, qui savent soigner la mélodie et les harmonies comme on le verra sur ce second album.


Adepte des introductions originales, Extreme débute son Pornograffitti par un "Decadence Dance" emballant. Le bruitage d’une pluie orageuse derrière quelques notes de piano ne laisse pas entrevoir que la suite des évènements sera explosive. Une grosse moitié des titres sera à mettre sous une même bannière, à savoir une fusion Funk-Métal très mélodieuse avec beaucoup de chœurs dans les refrains et une originalité dans les riffs de guitare (citons par exemple "Get The Funk Out", "Suzi" ou "It’s A Monster"). La section rythmique est bien calée même si Paul Geary à la batterie sera toujours, à mon goût, le petit point faible du groupe avec un jeu un peu linéaire qui dépareille comparé à l‘exubérance de Nuno. Il n’empêche qu'il permet aux autres musiciens de s’exprimer. Au premier plan on trouve le guitariste Nuno Bettencourt. Bercé au son d’Al Dimeola et de Eddie Van Halen , il a acquis une technique époustouflante à la main droite et possède un sens du groove dont peu de guitaristes peuvent se targuer. Mais sa principale qualité est la composition des mélodies et surtout des soli, qui sont tous d’une grande créativité . Chaque séquence instrumentale est superbement harmonique et portée par une capacité à surprendre par l’utilisation, notamment, de la dissonance.


"Lil' Jack Horny", dans un style proche de "Decadance Dance", fait la démonstration des qualités du groupe dans sa propension à inclure toutes sortes d’instruments. Pour le coup, ce sont des cuivres qui viennent accompagner les couplets et transcender les refrains. Parmi les nombreuses qualités du groupe, le duo de paroliers Cherone-Bettencourt qui concocte depuis le premier album des textes engagés et fortement politisés . On a ainsi affaire à un Concept-Album sur les excès d'une société où regne le vice. Rien que dans le titre le ton est donné... Pornograffitti . Extreme dénonce l’incursion trop profonde de la pornographie dans la société occidentale moderne. Les deux décénnies qui suivront leur donneront raison. Il est à noter qu’ils ne critiquent pas la pornographie pour elle-même mais plutôt le libéralisme, symbole de compétition et de marchandage, qui investit le domaine du sexe à travers la pornographie.


Dans le morceau "When I’m President", Extreme s’exprime sous forme rappée en dévoilant ses projets si Cherone ou Bettencourt étaient portés à la tête des Etats-Unis. "Money (In God We Trust)" est aussi de cet acabit avec un propos dénonciateur de l’argent roi.
Arrive "More Than Words", qui est devenu à la surprise générale le plus grand tube du groupe. Bien différent des Power-ballades qui inondaient la bande FM mais dans un style acoustique et harmonique très dépouillé et totalement anachronique en cette aube de décennie 90 (façon Everly Brothers , début des sixties !) qui rencontra une popularité aussi inattendue que méritée, et qui donna probablement quelques idées aux Red Hot Chili Peppers au crépuscule de la décennie pour leur "Road Trippin"...
Quant à "When I First Kissed You" qui semble être une sorte d’hommage à la musique de cabaret des années 50, Nuno Bettencourt nous fait voyager via son piano et la voix assagie de Cherone finit de faire opérer la magie. Les orchestrations de Nuno commencent déjà à faire leurs apparitions dans ce titre, et trouveront leur apogée dans l’album qui suivra.


Parmi les autres titres marquants, outre le hit acoustique "Hole Hearted" se trouve un "He-Man Woman Hater" au riff dévastateur. L’intro jouée par Dweezil Zappa, fils de l'illustre Frank avec tapping et delay laisse place à une superbe composition de pur Metal dans laquelle est gravé un solo d’anthologie.
La production signée Michael Wagener a plutot bien vieillie. Pornograffitti reste ainsi un disque tout à fait écoutable dans sa version d'origine bien que la version remastérisée lui soit supérieure et il est recommandé d'en faire son acquisition.


Cet opus restera comme un disque charnière dans la courte première carrière d’Extreme, coincée chronologiquement entre l'age d'or du Glam/Hair Metal et le regne Alternatif du milieu des années 90. En effet vont se succéder deux autres albums dans deux styles différents. Le 3eme album "III Sides To Every Story" très orchestré avec comme inspiration principale Queen ainsi que le Rock Progressif, et "Waiting For The Punchline", dans un style plutôt Alternatif voir Grunge.
III Sides... rencontra un acceuil nettement inférieur à son prédécesseur sur la scène nationale malgré des qualitées certaines . Mais entre temps avait déferlé la tornade Grunge qui redistribua toutes les cartes du petit monde du Rock. Il se rattrapa à l'international , en Grande Bretagne surtout où la prestation du groupe à Wembley quelques mois plus tôt pour le Freddie Mercury Tribute avait permis à Extreme de s'ouvrir à un nouveau public.
"Waiting For" fut par contre un échec commercial . Il dérouta les fans et même le groupe à posteriori ce qui eu pour conséquence le départ de Nuno Bettencourt pour des projets solo et un split inévitable en 1996.


Aujourd'hui, alors que le groupe s'est reformé avec la line-up d'origine (sans Geary à la batterie ) et en 2008 la sortie d'un nouvel album qui est passé inapercu malgré sa réussite artistique indéniable ("Saudades de Rock") on peut constater avec tristesse que la gloire du groupe ne semble plus être qu'un souvenir donc une évidence s'impose : Pornograffitti est LE classique indispensable et intemporel d'Extreme pour tous les amateurs de Funk-Metal de qualité.

Prozcombat4U
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le 6 févr. 2015

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