Fifty shades of blue
Texte originellement paru ici Deerhunter, groupe basé à Atlanta et conduit par les personnalités antagonistes, mais complémentaires, de Bradford Cox et de Lockett Pundt, revient avec « Fading...
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le 14 nov. 2015
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Deerhunter, groupe basé à Atlanta et conduit par les personnalités antagonistes, mais complémentaires, de Bradford Cox et de Lockett Pundt, revient avec « Fading Frontier », son septième album, où sa pop élégante aux reflets psychédéliques trouve un apaisement et une épure inédits après les décharges rock lo-fi de son prédécesseur, « Monomania ».
Si le groupe américain a abordé, via sa musique, une grande variété de styles, allant du rock expérimental flirtant avec l’ambient sur ses deux premiers albums, dans la lignée d’un Brian Eno (en particulier ses collaborations avec David Bowie), à une dream pop sous influence psychédélique pour le superbe « Halcyon Digest », en passant par le garage crade résolument lo-fi du conceptuel « Monomania », c’est à un retour au calme que l’on assiste sur « Fading Frontier », septième album somptueux de Deerhunter et qui s’installe d’emblée parmi les meilleurs du groupe. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le nuancier de bleu ciel-mer présenté en abyme à travers une fausse fenêtre cartonnée, sur la pochette du disque, reprend le motif d’estompement annoncé par le titre de l’album.
On retrouve, au fil des neuf chansons qui constituent cet album, les structures désormais classiques du duo de compositeurs Cox / Pundt : une pop au cordeau, respectant les formats couplets-refrain classiques, mais évoluant peu à peu vers une jam musicale en roue libre, toujours exécutée avec précision et sans débordement. Si le disque rappelle immédiatement la grandeur et la douceur de « Halcyon Digest », il s’en distingue d’une part par la durée plus courte de ses morceaux – seul le très étrange « Leather and Wood » tutoie les six minutes -, d’autre part par l’impression de désagrégement subtil et progressif orchestré sur la fin de plusieurs des pistes, qui révèlent sur la durée leur essence psychédélique en évitant les effets habituels du genre. Ainsi, « Take Care », probablement le meilleur titre de l’album, du moins le plus recherché musicalement, se débarrasse assez rapidement de son texte déroutant et inquiétant pour se concentrer sur une deuxième partie instrumentale qui gagne en ampleur, portée par les synthétiseurs qui tourbillonnaient dès le début du morceau, et amenée peu à peu sur une dimension beaucoup plus planante, éthérée, tout en réverbération et écho. C’est là une pop en perpétuelle dilution dans une sorte de magma sonore particulièrement travaillé et euphonique, à mille lieues des aspérités rocailleuses de « Monomania ». Plus étonnant encore, sur un format pourtant resserré à moins de trois minutes, le groupe conserve cette structure avec « Duplex Planet », chanson dominée par un clavecin qui en devient le squelette une fois que les paroles sont terminées, pendant que des chœurs estompés par des effets de delay semblent flotter au loin.
Cependant, Deerhunter n’oublie pas de gratifier l’auditeur de morceaux plus immédiats et accrocheurs pour structurer le disque autour de ses chansons les plus ambitieuses. L’enchaînement qui ouvre le disque, « All The Same » et « Living My Life », déroule le tapis rouge à une pop régalienne et apollinienne, aux accents estivaux nonchalants incarnés par le phrasé de Bradford Cox. Si leur structure est celle d’une pop tout ce qu’il y a de plus classique, les morceaux s’étoffent et se parent de sonorités chaudes et denses au fur et à mesure de leur progression, venant nimber les couplets et refrains de leur couleur sensuelle. De même, avec les deux singles du disque : d’un côté le très entraînant « Breaker », où Cox et Pundt se partagent respectivement couplets et refrain et qui s’autorise un pont surprenant, baroque et atmosphérique, avant de retomber sur les pattes de son couplet leitmotiv très typé nineties ; de l’autre, le plus funky « Snakeskin », où le groupe explore des sonorités un peu moins fréquentes de son répertoire, en se basant sur un riff au groove assez imparable. Là encore, c’est un bref pont qui met à jour le fourmillement instrumental nécessaire pour que le groupe puisse concocter d’aussi bons titres d’apparence pourtant simple, avant de laisser la sauce retomber doucement sous l’effet de ce maître mot qu’est l’art de l’estompement, qui passe ici par un usage brillant de la sourdine. « Ad Astra » et sa production cotonneuse reléguant à l’arrière-plan une batterie feutrée, noyée sous les nappes de synthétiseurs et les bips électroniques déjà présents sur « Leather and Wood », est, avec cette dernière, un des titres finalement les plus proches de l’alchimie si spéciale qui avait donné naissance, il y a cinq ans, au chef-d’œuvre « Halcyon Digest ».
En effet, même si « Fading Frontier » reste un album remarquablement solide et concis (il ne dure que 36 minutes), délivrant une pop lumineuse et touffue mais pas inaccessible pour autant, il ne pèche peut-être que par manque de chansons vraiment exceptionnelles, à l’instar des fabuleuses « Desire Lines » ou « He Would Have Laughed ». Tout fonctionne cependant à merveille et avec une belle cohérence, et nombreux sont les refrains ou les hooks qui restent en tête une fois l’écoute terminée. Une petite merveille, en somme.
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le 14 nov. 2015
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