Cela fait tellement d’années que les amateurs de rock progressif et de punk se chamaillent, qu’ils en ont oublié qu’aucune de leur caste n’était la meilleure. Entre la vaine complexité et l’étalage technique de l’un, l’idiotie (certes assumée) et la pauvreté de l’autre, autant choisir entre la peste et le choléra.
Tout n’est pas blanc ni tout noir dans ce monde. Le prog a au moins cet avantage d’avoir permis de faire évoluer le rock vers d’autres sphères. Quant au punk, il a encouragé les musiciens à mettre leur inspiration et leur énergie en avant plutôt que leur technique. Finalement, le meilleur chemin à suivre ne serait-il pas entre les deux ?
Il règne une grande confusion dans ce qu’on appelle le Post-Hardcore aujourd’hui. La faute à certaines formations metal qui auront juste prélevé de ce genre ses hurlements pour l’insérer dans une musique lourde qui a évoluée vers le post-rock. Des groupes comme Neurosis, Isis et Cult of Luna sont les principaux concernés avec leur musique lucidement surnommée aujourd’hui comme étant du sludge metal atmosphérique.
Autant être simple pour la peine. Dans post-hardcore, il y a hardcore. Soit une version plus rapide et plus violente du punk rock. Quelques grands noms comme Dead Kennedys et les Bad Brains lui auront apporté ses lettres de noblesse. Dans post-hardcore, il y a également post. Post, ça veut dire après, donc cela inclut logiquement l’avenir, le futur et aussi une évolution. Un terme à la connotation presque intellectuelle.
Le post-hardcore correspond donc à cette vision d’un punk furieux mais réfléchi. Fugazi en fut l’acteur le plus visible et le plus apprécié avec, entre autre, Refused et At the Drive-In (même si celui-ci était plus emo… Oups, c’est de nouveau la confusion). On en oublierait presque Unwound dans toutes ces explications. Une bande respectée, cependant surtout connue des amateurs. Pourquoi ? Certainement à cause d’une carrière insaisissable et de ses affinités avec la noise lui permettant d’incarner ce chainon manquant fantasmé entre Sonic Youth et Fugazi.
Fake Train a les qualités des premiers albums. C’est un disque direct, sans concession et régulièrement fougueux. Cela n’empêche pas que l’écriture y soit diversifiée. « Dragnalus » est une bonne carte de visite. Une ouverture vicieuse où le riff lancinant est traversé par les cris de Justin Trosper et les dérapages noisy des guitares. Puis vient « Lucky Acid » où en moins de deux minutes, les Américains se permettent d’être d’une rare sauvagerie. Le mal nommé « Nervous Energy » surprend avec son alternance entre calme ne laissant rien augurer de bon et explosion de violence. Est-ce pour cette raison que ces types furent comparés à Nirvana ? Le lien est très lointain a priori ou alors, il est seulement géographique.
Unwound écrit très bien, efficacement et avec une variété faisant souvent défaut au punk. A titre d’exemple, l’étonnante piste 4 est une longue suite de trois morceaux différents dont le dernier s’enfonce dans un feedback de plus en plus envahissant. Une écriture flirtant aussi bien avec la dissonance qu’avec les moments empreints de silence du post-rock (« Honourosis »). Au point que certaines pistes telle l’ahurissante « Star Spangled Hell » évoquent les instants les plus crus et dévastateurs de Mogwai.
Furieux mais mesuré. Intelligent tout en étant capable de lâcher la bride pour faire parler la poudre. J’ai l’impression de parler de King Crimson, notamment celui de la sombre trilogie de 1973-1974. Demandez-vous pourquoi le Roi Pourpre est presque vu comme une vache sacrée par des gens conchiant le rock progressif habituellement. Parce que cette vague de gens jouant un rock rageur et cérébral lui doit quelque chose. Ce n’est pas cette batterie à la grande finesse (et jouée par une femme, Sara Lund) qui me fera mentir. Les lignes de basse, très inspirées par le post-punk, sont aussi remarquables. Même si cet instrument prendra encore plus d’importance par la suite.
Fake Train est un des grands albums d’une des bandes les plus passionnantes de son époque. Pour sa puissance, son intelligence et son aura nous remémorant qu’une musique sentant autant le souffre (« Feeling$ Real ») n’a pu être composée que dans la première moitié des années 1990.
Tom Jones, lui-même, semble l’approuver.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.