Retrospective de Burzum / Critique de Fallen
Fallen propose bon nombre de qualités versus très peu de défaut, ce qui est tout à son honneur. Le son est impeccable, les compositions solides et ce vieux Compte Grishnackh a profité de son long séjour en prison pour améliorer son chant (!) si cela est seulement possible (faut l'entendre pour le croire). Autrement dit, que du bon mais... y a un truc qui cloche.
20 ans ont passés depuis l'époque glorieuse des groupes Black norvégiens. On se souviendra, une bande de jeunes musiciens s'étaient alors décidés à réaliser leur propre Saga tel leurs ancêtres Vikings au moyen d'une musique extrême et d'un style de vie nihiliste sans grande moralité. Vite commencé, vite terminé, le mouvement a cependant trouver le temps de procurer à la grande histoire de la musique contemporaine son épisode le plus violent. La majorité des groupes de l'époque n'ont vécus que 2 ou 3 ans mais tous - sans exception ! - sont maintenant cultes et de grands classiques de musique metal se sont créés alors.
Maintenant, comme je disais, 20 ans plus tard... il ne reste plus grand chose de cette période faste du metal norvégien. Parmi les groupes phares, Emperor est devenu légendaire et ses membres font chacun de leur côté des projets qui valent le détour. Darkthrone, prolifique comme jamais, explore depuis quelques années un mix entre black metal et punk archi-brut avec le succès qu'on connait, ralliant toujours plus de public à mesure qu'ils touchent la limite de la musique "extrême". Mayhem, quant à eux, gardent le cap bon an mal an, le mauvais sort s'acharnant sur leur cas - les boucs émissaires de toutes ces églises brûlées jadis. Mais davantage encore que tous ceux-ci, Burzum continue de fasciner, malgré (ou grâce ?) à son passé particulièrement trouble.
C'est que Burzum - alias Barg Vikernes solo - a une histoire à la fois riche et sombre. Je n'ai pas l'intension de la racontée - Wikipedia est là pour ça - mais sachez que Vikernes possède une discographie d'une richesse rare, poussant le Black plus loin que quiconque alors. Ses albums des années 90s sont tous classiques - inégaux certes, mais indispensables à tout amateur de Black Metal qui se respecte.
20 ans plus tard, j'insiste... Fallen voit le jour, seulement 1 an après le surprenant Belus. L'album reprend les codes de son prédécesseur, soit une production limpide et des compositions standard de Black. Sous ces aspects, Fallen fait même mieux que Belus, la qualité générale est un tantinet au-dessus de ce dernier. Même la pochette est plus jolie ! Néanmoins, le disque ne décolle jamais vraiment. À qui ou à quoi la faut ? Objectivement, il s'agit pourtant bien d'un excellent album !
C'est que, malgré toutes ses qualités, Fallen souffre de la candeur de ses aînés, les CDs estampillés "Burzum" sortis 20 ou 15 ans avant lui. L'âge d'or des groupes sus-mentionnés est terminée et ce, depuis longtemps. Le gros des bands de l'époques sont décédés, enterrés et décomposés, sauf cette poignée d’irréductible que j'ai déjà cité, tous passés à la postérité. Ceux-ci, justement, les membres d'Emperor, Darkthrone, Mayhem profitent de leur status pour jouer la musique qui leur plaît sans soucis de quelconque succès commercial ou critique. Il en résulte des oeuvres complexes, pointues, voire expérimentales que seuls des artistes accomplis n'ayant plus rien à prouver peuvent accomplir. À l'issue de quoi, ces musiciens autrefois occultés à leur sous-sous-genre musical (black metal) et régional (Norvège) se tiennent désormais debout côte-à-côte à tous les autres musiciens qui ont su transcender leur art.
Et Burzum dans tout ça ?.. (oui, j'y viens !) Si le one-man-band fut un pionnier en son temps, il évolue désormais la facilité en suivant à la lettre les codes qu'il inaugura lui-même dans les années 90s. Fallen pullule de bonnes chansons Black classique, toujours de qualité supérieure mais quand même entendues ailleurs depuis les 10 dernières années chez de jeunes groupes jouant également du bon Métal Noir qualité supérieure - groupes probablement nourris aux vieux disques de Varg Vikernes, justement. Rien ne distingue plus Burzum des Enslaved, Primordial, Rotting Christ ou autres Ash Borer qui subjuguent le petit monde du Black depuis quelques années.
Là est la faute à Fallen : alors que ses ex-frères d'arme ont su dépasser le cadre (très) restreint du style duquel ils ont vu le jour, Burzum y est toujours prisonnier. Les titres de cet album sont fait de Métal Noir 5 étoiles mais dépourvus de la fougue, de la singularité et de l'instinct qu'avait leur créateur pour pour porter toujours plus loin son art. Cette observation ne concerne pas Fallen seul : ses cinq albums depuis sa sortie de prison en 2009 souffrent des même symptômes. Tous peinent à se démarquer des standards du genre.
Au fait, la prison. On pourrait la tenir responsable pour le ternissement de l'élan créatif hors-pairs de Varg Vikernes. Il y entre en 1994 en tant que jeune prodige d'une scène sulfureuse, un musicien au sommet de sa forme sans cesse transcendant le genre duquel il est né. Puis ce dernier 21 ans sous les barreaux. Loin de s'arrêter pour autant, Vikernes parvient à sortir deux albums pendant son incarcération, obligatoirement des albums (dark-)ambiant puisque les moyens techniques ne lui permettaient quoique soit d'autre. Un clavier, un micro, rien d'autre (au vu des circonstances, ces albums forcent le respect, mais c'est une autre histoire...). C'était 3 et 5 ans après son emprisonnement. Mais 21, c'est putain long. À l'exception d'une poignée d'inconditionnels, lisant ses livres (à défaut de musique) écrits pendant ce temps (tous très mauvais, d'ailleurs), le monde entier oublia le Compte Grishnackh a.k.a Varg Vikernes.
2009 vu à la fois sa libération et son retour sur la scène musicale, ne perdant pas un instant pour sortir Belus. Fallen, et ainsi de suite. La régularité des nouveaux disques Burzum et leur similitudes musicales laisse penser que tout à été écrit au bagne. La qualité d'écriture laisse même présager qu'ils ont été pensés peu de temps après son enfermement, lorsque Vikernes était encore à son apogée. Mais 21 ans plus tard, le monde a changé. Si de telles compositions ne sont plus bluffantes comme pouvait l'être leur auteur à l'époque, le fait qu'elles présentent encore aujourd'hui une valeur encore peu égalée en Black Metal prouve le génie de Varg. On ne peut qu'imaginer ce que de telles compositions auraient provoquer en 1994 alors que la rage et la créativité habitaient encore l'artiste.
En définitive, si Burzum n'a pu s'épanouir autant que ses vieux compères d'Emperor ou Darkthrone, la faute en incombe à son long, très long emprisonnement - et ultimement à son crime, bien sûr. Fallen propose du Black Metal racé, sophistiqué, mais publié trop tard pour qu'il n'égale jamais ce que son auteur a su faire de mieux à son apogée, il y a 20 ans.