David Byrne, on le connait en tout et pour tout avec son ex groupe mythique, les Talking Heads.
Quand ce même groupe se sépare définitivement en 1991, Byrne à de son côté déjà bien entamé sa carrière solo. Depuis 1981, il a signé avec Brian Eno un album collaboratif et un petit paquet de bandes sons pour des spectacles ou des films, ainsi qu'un album centré sur les sons typiquement latinos, Rei Momo (en 1989). En 1992, alors définitivement débarrassé des contraintes liées au célèbre groupe new-yorkais, il sort Uh, Oh, album qui reprends dans le fond et la forme ce qui avait été commencé par Naked, le dernier album de Talking Heads en 1988. Un peu plus tard, lassé du son étoffé des dernières productions et des concerts avec une douzaine de musiciens, Byrne se laisse d'abord pousser les cheveux (très important, les cheveux chez David Byrne) et enregistre un album de pop songs "à nu", David Byrne, en 1994. Cet album se veut un retour aux sources, avec une guitare, une batterie, une basse et un tout petit peu de clavier et de percussion. Pour la tournée qui s'ensuit, Byrne n'est entouré que de trois musiciens : un bassiste, un batteur et un percussionniste. Et c'est tout. Il s'amuse donc à réarranger son répertoire de façon la plus minimaliste possible, quitte à tout jouer en acoustique.
Au tournant des années 90, Byrne revient peu à peu à des idées plus construites musicalement, en mélangeant tout les styles musicaux qui l'intéressent en cette fin de vingtième siècle. Le thème de l'album s'établit alors : ce patchwork d'influences très diverses lui permet de les associer à différentes humeurs, différents sentiments qu'il ressent au travers de la musique. Cet album se nomme donc Feelings.
Pour composer, Byrne écrit ses textes, puis crée la musique. En parfait "découvreur de talents", il fait appel à un DJ/producteur, Hahn Rowe, avec qui il met en place les premières démo. Dans un second temps, il reçoit une cassette contenant le rough mix du nouvel album de Morcheeba, groupe trip hop en pleine ascension. Séduit par ce qu'il écoute, il appelle le groupe et leur demande si il y a moyen de travailler ensemble. Au final, Morcheeba et Byrne vont mettre en boite les deux tiers de ce nouvel album. Reste encore quelques morceaux à enregistrer. Pour "Miss America", il voulait quelque chose qui s'approchait d'un mélange techno-calypso. Il fait appel au musicien Joe Galdo et enregistre ses idées. Pour "Wicked Little Doll", Byrne voulait quelque chose de mécanique, presque robotique. C'est donc avec évidence qu'il se tourne vers Mark Mothersbaugh et Gerald Casale de Devo pour l'enregistrer...
Vous l'aurez compris, David Byrne renoue avec Feelings avec un "melting pot(es)" afin de coucher sur bande un album qui qui sent bon le soleil et regorge d'idées novatrices. Alors qu'on pourrait penser qu'autant d'invités et d'influences pourraient ruiner la ligne directrice du disque, ce dernier reste curieusement plutôt uni et homogène. La tracklist des quatorze morceaux de Feelings y est sûrement pour quelque chose. Les morceaux entrainants sont placés aux quatre coins de l'album, interposés entre de nombreuses plages plus posées, ce qui crée en fait une véritable dynamique et un rythme d'écoute au final assez stable. Pour moi, les trois véritables tours de force de cet album sont en fait les singles : "Fuzzy Freak" et sa slide guitar douce, "Miss America" et cette rencontre des caraïbes et de l'électronique ainsi que "Dance On Vaseline", perle pop dans la plus pure veine David Byrne.
Ce disque sera plutôt bien accueilli un peu partout dans le monde et s'ensuivra d'une assez longue tournée mondiale, tournée qui verra Byrne s'habiller de manière très colorée (le costume en fourrure fuchsia sur chemise jaune) et remettre au goût du jour les plus grands morceaux de Talking Heads ("Psycho Killer" à la sauce trip-hop, ça vaut le coup d’œil). L'impressionnante performance de Byrne en 1997 pour Sessions on 54th Street, une émission américaine de musique live, est disponible en intégralité sur youtube (ici : https://www.youtube.com/watch?v=DUiUx4c6Imk), il serait dommage de passer à côté.
Feelings reste donc au final un excellent album de la part de Byrne. Peut-être pas le meilleur de son étonnante et large discographie, mais sûrement l'un des plus ambitieux et recherché. Ce serait sûrement un disque à recommander en premier lieu à un auditeur néophyte de l'artiste en solo.
NB - le "jouet" David Byrne représenté sur la pochette n'a été conçu qu'en un seul exemplaire, dans le seul but d'illustrer la pochette. J'ignore complètement ou ce mannequin se trouve actuellement... Il a sûrement dû faire une carrière solo, à l'instar de son modèle...