L'une des raisons pour lesquelles on aime tant Thin Lizzy c'est parce qu'ils ont réussi en une poignée d'albums formidables à réconcilier le ton sérieux et très premier degré des grands amateurs de hard-rock (genre avec lequel on ne déconne pas, sauf lorsqu'il est question de parler du jeu de Cliff Williams et sa basse à quatre cordes) et la musique populaire dans tout ce qu'elle a de plus libre voire nostalgique (les premiers Springsteen, en gros, jusqu'en 75). Allez-y, moquez vous de Romeo, héros récurrent de Jailbreak qui paraîtra un an plus tard, sommet de Phil Lynott. C'est cette douceur, cette beauté touchante (naïve?) qui transparait aussi bien dans les textes que dans les deux guitares qui se répondent ici pour la première fois.
Fighting est sans doute le premier gros calibre universel de Thin Lizzy, celui qui parlera à la plus grande audience. Celui qui mettra tout le monde d'accord après une écoute ou deux que le hard rock n'est pas qu'un genre réservé aux beaufs, amateurs de grosses pétoires, de gonzesses et d'armes. Fighting nous invite à la baston, mais Rosalie n'est pas loin. Freedom Song est un pur prototype mid-tempo de The Boys Are Back In Town, donc forcément indispensable. King's Vengeance agrandit gentiment la longue liste des titres les plus accrocheurs du groupe par la simple force de ses douze cordes solaires glissant juste ce qu'il faut vers les moulinets heavy, rappelant les premiers Nils Lofgren, la tentation était trop grande, qui seront repris tôt ou tard par les artisans du heavy metal, dans une abondance la plus parfaite et s'étirant jusqu'aux neuf minutes de rigueur. Mais qui pour battre aujourd'hui Spirit Slips Away? La bagarre est perdue d'avance, ne cherchez pas.
Fighting révèle un groupe enfin bien installé, maître de son propre tempo qu'il maîtrise à la perfection, ramenant dans son sac des vibes solides et réconfortantes, des riffs délicieux comme des sucreries sweet & sour typiquement british tout en ayant en ligne de mire l'horizon américain, celui des grandes plaines que l'on fantasme, s'imaginant les traverser d'une traite à toute allure sans se soucier du bruit du monde, pour le simple bonheur de jouer sa musique dans les bars du coin. Thin Lizzy nous invite au voyage d'une des plus belles pages fusion du hard rock, portée par la plume et la voix d'un mec, comme Bolan, qu'on regrette quand même beaucoup.