Sur son nouvel album comme au moins sur les deux précédents, Elliott Smith réalise encore une suite impressionnante de gestes parfaits, une quinzaine de minutieux et éblouissants ballets aériens de trois minutes, sans que le monde extérieur ne paraisse y avoir la moindre prise, ni un début de gloire hollywoodienne (après les BO de Good will hunting et de American Beauty), ni l'accueil ordinairement réservé à ses disques. Plus dépouillé que XO, Figure 8 renoue partiellement avec l'impressionnisme folk de Either/or, un folk cependant plus vaudevillesque et étoffé. Pas un centilitre de sueur n'enraye la mécanique de précision de ces chansons carrément tombées du ciel, pas une seule grimace d'effort n'en déforme l'air radieux, ébahi, épanoui comme s'il s'agissait de prières d'extase ou d'offrandes au printemps. Même les mots parfois heurtés et vitriolés semblent dévaler des toboggans de soie pour atterrir sur l'écume mousseuse d'un genre de paradis sonore où clavecins et cordes les accueillent en fanfare. L'un des plus beaux morceaux de Figure 8, Everything means nothing to me, aurait d'ailleurs pu sans rougir figurer sur Abbey Road, et l'essentiel de ce que Smith écrit à la chaîne se situe à peu près à ce niveau d'altitude. Et il faudrait être protégé d'une sacrée écorce doublée en Téflon pour ne pas plonger la tête la première dans le pathos qu'évoquent cette voix voilée et ces mélodies cruellement perçantes. Figure 8 est encore un disque de marchand de couleurs surdoué, un grand huit dont la première comme la centième vrille provoquent immédiatement un état d'hébétude admirative et d'allégresse fusionnelle. Même s'il demeure le dernier à s'en défendre, Elliott Smith est le songwriter qui, au cours des dix dernières années, nous aura le plus envoyés en l'air. (Inrocks)
Emporté, bien malgré lui, dans une course à l'Oscar pour ses chansons figurant sur la BO de Will Hunting (pourtant composée par Danny Elfman), emporté par le buzz énorme de la sortie de son troisième album XO (le premier pour le mastodonte DreamWorks), Elliott Smith aura finalement impeccablement résisté. D'ailleurs, le temps de Son Of Sam, l'archétype même du folk mélancolique du bonhomme, on pense qu'il est définitivement intouchable. Figure 8 est hélas bien trop boiteux. De nombreuses couches superficielles fardent inutilement ses chansons, comme les cordes de In The Lost And Found (Honky Bach) The Roost ou les guitares de Pretty Mary K, une valse un brin écoeurante. Cette fois, lorsqu'on gratte le verni, il n'y a pas toujours ces mélodies imparables auxquelles il nous avait habitué jusque-là. Heureusement, sur les seize titres de Figure 8, Elliott Smith signe tout de même quelques grands moments de country urbaine, habillés souvent d'une simple guitare (Easy Way Out, Stupidity Tries, I Better Be Quiet Now...). Sauf qu'on attendait beaucoup plus de sa part. Espérons seulement qu'il saura à l'avenir préserver sa quiétude et cultiver l'intimité de son répertoire pour y retrouver enfin sa douceur et sa force émotionnelles. (Magic)
Que faire quand on a atteint les sommets ? Que reste-t-il après la perfection ? Ce sont des questions qui ont dû effleurer Elliott Smith après la sortie de son dernier album. A moins que sa timidité et son humilité n'y aient fait barrage. Ce sont des questions que je me suis posées en tout cas parce qu'il faut bien dire que, si j'ai mis du temps, je me suis fortement attaché à "XO".
Deux scénarios s'offraient à Elliott. Dans le premier, il partait à l'assaut des nuages ; dans le second, il se contentait de rester là où il était, contemplant le travail accompli et les territoires conquis par sa pop délicate. Comme le moine guerrier, Elliott s'est décidé pour une troisième voie. Pas de surplace contemplatif mais pas d'ascension supplémentaire non plus. Plutôt un reroutage, une reconquète des sommets pop par une face inexplorée. Un retour en arrière vers des origines folks pour une ascension beatlesienne. De prises de main précises et élégantes en sursauts vifs et risqués, Elliott Smith enchaîne d'une façon impressionnante seize chansons aériennes et attachantes, hors d'atteinte. Plus proche de l'ascétisme d'"Either/Or", "Figure 8" a néanmoins recours aux sons boisés et riches de "XO". Tous les titres coulent de source et rien ne trahit l'effort dans ce songwriting de l'impossible. Tout paraît facile et évident pour cet artisan du beau qui glisse sur le vent. En fait d'ascension, c'est plutôt de montgolfière qu'il faut parler. Fragile et parfaite, en suspension entre deux mondes, la musique de "Figure 8" m'envole. (popnews)