Le bruit peut-il être beau ? Depuis le traumatisme sonore que Lou Reed nous a infligé avec Metal Machine Music, la réponse semble être non, définitivement non. Mais ce que beaucoup n’ont pas compris (que ce soit les détracteurs ou les adorateurs du disque), c’est que l’ancien gourou du Velvet Underground s’est juste contenté de balancer les pires dissonances qu’il avait en réserve sans aucun souci d’esthétisme.
Metal Machine Music était spontané, mais il n’était en aucun cas travaillé. Lou Reed le reconnait lui-même, ce double album était le moyen de se dédouaner de sa maison de disque, point barre. Il dira même qu’il faut être aussi bête que lui pour écouter ce monstre sonique jusqu’au bout.
L’histoire aurait pu en rester là et ce qui était un des plus grands doigts d’honneur envers l’industrie du disque, aurait dû rester logiquement une simple blague. Rien de plus.
Mais à l’instar des albums du Velvet Underground, Metal Machine Music s’est montré incroyablement influent dans son extrémisme musical. Les groupes de rock rentrés au panthéon et déclarant être influencé par ce monolithe insupportable sont légions : Sonic Youth, The Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine…
Pourtant, ces groupes sont loin de faire une musique agaçante ou ennuyeuse. Exigeante certes, mais en aucun cas exaspérante. Manipuler la matière sonore n’est pas donné à tout le monde. Tout comme écrire une grande chanson n’est pas évident pour n’importe quel songwriter. Car utiliser le bruit dans sa forme primaire, c'est à dire sans aucun soucis de composition, sans vision voire même sans concept (le risque de fumisterie en moins bien sûr), est vain.
Le shoegaze est un genre avec une vision. Une volonté d’utiliser les couches de bruit comme couvercle pour y cacher des mélodies. Si possible les plus angéliques et sucrées. Ce genre est la preuve que c’est en mélangeant des ingrédients opposés qu’on se retrouve avec les mixtures les plus fascinantes.
Flying Saucer Attack ne restera pas dans l’histoire car poussant surtout au maximum ce que Loveless avait débuté. Mais surtout parce qu’ils produisent une musique nettement moins accessible.
J’avais auparavant expliqué que Loveless était bâti sur des boucles, puisqu’il est répétitif. Avec leur premier album, Flying Saucer Attack brise ses liens avec ce disque summum tout en conservant ce mur de son propre au shoegaze. Les structures sont désormais éclatées, beaucoup plus libres que celles du chef d’œuvre des Irlandais. Mais la recherche sonore est tout aussi poussée, si ce n’est plus.
Puisque c’est bien dans cet aspect que le miracle se produit. Malgré une production lo-fi, Dave Pearce et Rachel Brook réussissent à produire une musique texturée. Les sonorités incroyablement rugueuses se mélangent comme par magie avec cette voix douce et fantomatique. Les mélodies survolent avec sérénité une avalanche de fuzz effroyable, car dégueulée par un ampli de guitare au volume sonore intolérable.
Les seules pauses dans ce rock bruyant et affranchi sont des échappées space rock de toute beauté. Ces deux morceaux portant d’ailleurs le nom du mythique projet de Florian Fricke. Le krautrock ferait-il donc un retour en force en ces années 1990 ?
Mais la reprise de Suede (« The Drowners ») passée au mixeur noisy vient tout chambouler. Elle est la preuve éloquente que les shoegazers sont des gens tiraillés entre leurs envies pop et leurs expérimentations sonores.
Ce qui reste à retenir, c’est que ce disque à la très belle pochette crépusculaire, est surtout le premier pas vers un rock libéré de ses carcans. L’un des premiers albums de post-shoegaze ou de pré-post rock. Mais qu’importe ces étiquettes réductrices, il s’agit principalement d’un chef d’œuvre.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.