« Moving waves » ou « Focus II » voit le groupe débouler pied au plancher dès l'ouverture, le thème cartoonesque enchaîné véhément tel un vrombissant morceau de hard-rock, « Hocus Pocus ».
Non seulement ce titre est une parfaite ouverture pour rentrer dans le disque mais il symbolise pleinement ce que sera l'esthétique du groupe pour les décennies à venir : un aspect humoristique complètement décalé tant dans les bribes de paroles (ici on psalmodie une tyrolienne en pleine virulence rock!) que dans les titres de plusieurs compositions, une frontalité rock bienvenue (due à Jan Akkerman le bouillonnant guitariste) et d'un autre côté une véritable finesse ; les deux aspects se mélangeant sans faille et permettant une vraie richesse, une vraie jouissance mélodique même à plusieurs morceaux Focusiens.
Les autres titres de la première face, plus posés et sereins, permettent de développer une atmosphère bucolique qui n'a plus rien à voir avec le rock teinté de pop du premier disque. En fait, dès « Hocus Pocus », on est clairement passé à un autre stade et il est dès lors frappant de voir l'évolution monstrueuse en un an seulement. Et si la première composition ici pouvait laisser penser que le reste du disque en serait de même, raté. Car avec les courts mais brillants titres que sont « Le clochard », « Janis », « Moving waves » et « Focus II », le groupe laisse planer une touchante patte mélancolique qui contient déjà en soi des influences propres au folk mais aussi à la musique classique. Cette dernière, tout comme le jazz, sera en filigrane de la carrière du groupe pour de nombreuses années, inscrite dans son ADN, et pour cause, Thijs Van Leer est un flûtiste accompli bardé de références musicales mais qui a le bon goût de ne pas bêtement les ressortir. Là est toute l'intelligence de Focus, groupe de rock progressif qui, contrairement à nombre de ses collègues, ne s'est jamais vu taxer d'effectuer une musique « pompière » ou « trop technique », préférant créer du ressenti.
Avec ces courts titres qui forment une certaine respiration avant le plat de résistance qui occupe toute la face B du vinyle, on est servis. Le groupe continue d'ailleurs ses thèmes instrumentaux sensibles qui se suivent (sans forcément se répondre) d'un album à l'autre. Ici, un « Focus II » qui peut aisément se placer parmi les 10 ou 20 meilleures compositions du groupe. C'est simple, c'est mélodique à souhait, d'une écriture fouillée derrière l'apparente simplicité et puis ça émeut directement. Du pur Focus donc.
Avec la suite de 23mn que constitue « Eruption » en seconde face du vinyle, nos gaillards n'ont pas fait les choses à moitié.
Inspirée initialement en partie du Concerto pour orchestre de Bartok, c'est encore là une preuve de la méticulosité d'écriture surprenante du groupe d'Akkerman et Van Leer. En effet, « Éruption » est en fait composée de 15 petites pièces toutes rattachées à la suite et dont la couture est liée à un thème qui va se faire écho une piste sur deux au début pour rebondir de plus belle au milieu ou repris à la fin. Mais le-dit thème (voire thèmes, dans le livret ils ont autant pour nom « Orpheus » qu' « Answer », que Pupilla ou Eurydice) n'est pas seulement repris tel quel, il évolue régulièrement de l'intérieur dans la grosse structure architecturale qu'est Éruption, proposant régulièrement des variations. Et le tour de force c'est qu'au final tout tient de bout en bout. Magistral.
Avec ce second disque frôlant le parfait de bout en bout, Focus venait d'entrer dans la cour des grands, aussi bien du rock progressif que du rock tout court.