For All the Puppies

Existe-t-il bien des rappeurs plus polyvalents que Drake? Si oui, on doit les compter sur les doigts d’une main. La star torontoise est revenue ce vendredi 6 octobre avec sa dernière offrande, For All the Dogs, « l’un de ses meilleurs albums en carrière », déclarait-il sur sa page Instagram, ou « le retour de l’ancien Drake », ajoutait l’artiste dans la foulée. Un projet correct dans l’ensemble, malgré le fait que ces deux déclarations ne concordent pas pleinement avec la réalité.

En écoutant l’album d’une traite, un problème premier se dessine, plus le temps passe : For All the Dogs est long, trop long. Certains morceaux se ressemblant tellement qu’il est à se demander pourquoi Drake n’a pas lâché un certain nombre de ses titres durant la conception. À l’image de ses derniers disques, il apparaît clair qu’Aubrey Graham préfère davantage jouer dans la quantité que la qualité. Sans inclure la récente parution, quatre de ses huit derniers projets comptent plus de 80 minutes à leur compteur, en plus de mentionner que For All the Dogs constitue la 11e parution du Torontois depuis 2015. Malgré le talent indéniable du rappeur canadien, le rythme de production effréné instauré par celui-ci ne peut mener qu’à une chose : le manque d’inspiration. Prendre le temps paie souvent davantage : Kendrick Lamar et Travis Scott n’ont pas hésité à attendre cinq ans avant de lancer un nouvel opus. Au final, ils ont proposé des projets distincts du reste de leur discographie, mais surtout, riches et marquants (particulièrement du côté du rappeur de Compton).

Le titre de ce huitième album sous-entendait avant l’écoute une facette agressive, toxique et tranchante du rappeur canadien. À l’écoute, l’album flirte davantage avec le R&B mielleux que le rap, au grand dam des nostalgiques voulant retrouver le Drake de Nothing Was the Same ou If You’re Reading This It’s Too Late. Les thèmes retrouvés dans les paroles, quant à eux, ne surprennent pas réellement : un Drake obsédé par les femmes et le succès. Peut-être aurions-nous préféré davantage de maturité et d’introspection, surtout quand on connaît la situation familiale et l’âge de l’artiste natif de Toronto.

Not sayin’ I’m the best at what I do

I’m just sayin’ that it’s me versus whoever wanna lose

– 8am in Charlotte

Au niveau des collaborations, un beau panel d’artistes est présenté à travers For All the Dogs. Si elle n'est pas toujours marquante, la différence de genres proposés, entre la magnifique voix de SZA, le reggaeton de Bad Bunny ou le rage rap de Yeat, contre quelque peu le penchant fade de certains morceaux du projet et ajoute une couleur particulière dont seule la collaboration détient le secret. Une chanson avec Travis Scott n’aurait pourtant pas été de refus, quand on connaît la chimie qui opère entre les deux géants sur leurs derniers morceaux proposés. Un titre Scott-Drake, un classique instantané presque assuré.

En coupant dans le gras d’un solide tiers de l’album, For All the Dogs aurait pu se présenter comme un projet absolument phénoménal à l’écoute. Les points forts ne manquent pas : le texte dénudé, touchant et introspectif de Away For Home, la richesse mélodique de Bahamas Promises, la collaboration bouillante avec J. Cole sur First Person Shooter et sans oublier cette perle, le simple 8am in Charlotte. Cette? Plutôt, La perle, avec un « L » majuscule : la chanson dévoile probablement le meilleur rap initié par Drake de cette décennie, et d’un point de vue personnel, c’est l’un des trois meilleurs morceaux de rap paru cette année.

Mais avec des si on mettrait Paris en bouteille. En passant du conditionnel à l’indicatif, oubliant ce que l’album aurait pu être, le dernier album de Drake ne se révèle au final qu’être un projet brouillon, excellent par moments, musicalement poussé sur une poignée de titres, mais profondément oubliable et conventionnel dans sa majorité. Ne tombons toutefois pas dans cette manie, cette mode répandue qu’est celle de critiquer le rappeur à tout va dès la sortie d’un nouveau projet. L’artiste a perdu en vitesse depuis les dernières années, mais n’oublions pas son impact conséquent sur la démocratisation du rap durant le début des années 2010.

À voir ce que Drake aura à proposer en revenant de sa pause.

[Ma note originale sur Le Canal Auditif : 6]

https://lecanalauditif.ca/critiques/drake-for-all-the-dogs/