Août 1971 : la composition du sémillant “Nine Feet Underground” sur le monumental In The Land Of Grey And Pink (1971) avait poussé David Sinclair à s’évader de la célèbre caravane du Canterbury – direction Robert Wyatt et son Matching Mole fraîchement sortis de terre. Trop avant-gardiste à son goût, la taupe jazzy occupera le claviériste le temps d’un court album (Matching Mole , 1972). De son côté, Caravan ponctuait ses ambitions jazz-rock sur le très anonyme Waterloo Lily (1972). Si l’on ajoute à l’affaire les départs amorcés de Steve Miller et de Richard Sinclair, il en fallu peu pour convaincre notre homme (David Sinclair, suivez bien) d’accepter la proposition tout à fait décente de Richard Coughlan et Pye Hastings de revenir au bercail. Un choix rendu d’autant plus facile que Pye Hastings signera la quasi-totalité des compositions présentes sur ce cinquième album au titre lacanien en diable : For Girls Who Grow Plump In The Night, sentence qu’un traducteur peu scrupuleux pourrait traduire par « pour les filles qui deviennent dodues pendant la nuit ». Tout un programme !
Au rayon musique, “Memory Lain, Hugh Headloss” donne une idée de l’énergie renouvelée et sophistiquée déployée. Les orchestrations caractéristiques de Caravan conservent leur spontanéité jouissive, bourrée d’ellipses fulgurantes et de rythmiques affûtées comme un opinel (la faute au nouveau bassiste John G. Perry). Un petit côté rock (“C’Thulu“) offre même le champ libre à de brillantes variations du violon alto de Geoff Richardson quand le reste de la formation semble totalement galvanisé. Le romantisme assumé de “Surprise, surprise” et “The Dog, The Dog…” introduit quant à lui le long instrumental “L’Auberge du Sanglier“, hommage à un restaurant situé alors près de Albi. Mieux, dans ce tourbillon ébouriffant, la machine bestiale propose sans trembler sur une vaillante reprise du thème “Backwards” des cousins de Soft Machine. Un soupçon de témérité au plaisir mélomane, le tout servi avec ce charme indémodable dont on fait les très grands crus. Avec ce For Girls Who Grow Plump In The Night, le Canterbury raffiné de Caravan gagnait en saveur pour toucher son sommet discographique.
Critique sur Amarok Magazine