Dans la trempe post-punk underground des années 80, Nick Cave et les rescapés de The Birthday Party nous servent un album que l’on peut qualifier de cinglant: ça crie, ça cause et ça chante peu au final. La transition d’un groupe à l’autre ne se fait pas en douceur, mais avec cette bande, nous avons l’habitude ! Il m’a fallu pas moins de trois écoutes pour cerner où voulait en venir Nick Cave and The Bad Seeds avec ce premier opus.
L'album s’ouvre sur une reprise du titre “Avalanche” de Leonard Cohen, sorti en 1971. Cette réinterprétation du morceau est à des années lumières de la version originale, probablement chère à Nick Cave puisqu’il la reprendra plus tard sous une forme encore différente, bien plus répandue car souvent utilisée dans les films ou les séries (comme Black Sails pour ne citer que celle-ci). Mais en 1984, point de piano ou de violons larmoyants. A la place, on nous octroie une guitare qui grince et un chouilla de batterie, le tout couvert par la voix plutôt énervée d’un Cave plein d’énergie (et possiblement de substances). C’est un hommage abrupt, mais qui vient du cœur. Cave se prend parfois à donner une intonation à la Cohen, avec une voix caverneuse et glauque qui ferait penser à un « Loverman » avec dix ans d’avance.
On l’aura compris : la musique de Cave est en pleine évolution, nous sommes témoins de la naissance bouleversante des Bad Seeds.
C’est simple, durant l’écoute des sept titres que composent la version originale de “From Her To Eternity” (un album remasterisé ressortira en 2009 avec des titres supplémentaires) ; on voyage, mais pas dans des conditions idéales, bien au contraire. On pourrait s’imaginer coincés dans la cale d’un navire pirate à la dérive, au milieu des Caraïbes, en compagnie d’une dizaine de rameurs qui chantent pour se donner du courage. Voilà pour l’ambiance générale confirmée par « Well of Misery », véritable chant de marins épuisés, scandant des paroles sur la mort, implorant Dieu tout en se sachant damnés.
Le second morceau, « Cabin Fever » (“claustrophobie” en français), avec un combo basse et percussions qui rend l’ambiance anxiogène, Cave crie à s’en péter les cordes vocales. On y entend des sons métalliques, on se demande ce qu’il se passe, on comprend la détresse du chanteur. Pour résumer, c’est comme si les Allemands d’Einsturzende Neubauten (précoces), avaient invité Screamin’ Jay Hawkins d’outre-tombe grâce à un quelconque rituel vaudou.
le titre « From Her To Eternity », d’où l’album tire son nom, a été coécrit avec Anita Lane, l’amour de jeunesse londonienne de Cave, qui a une forte influence sur son art et par extension sur le groupe depuis The Birthday Party. La chanson relate un amour destructeur, avec un piano agressif, probablement joué avec les coudes et du spoken hurlé (du hurlen ?) assez énervé. Par pitié, que quelqu’un donne une verveine à Nick Cave !
Hommage à Huckelberry Finn et aux histoire du Mississippi qui – on le constatera dans les prochains albums – sont chères au cœur des Bad Seeds, « Saint Huck » sonne le glas d’une jeunesse libre, en hurlant à la lune dans les bayous de Louisiane. Deux salles, même ambiance. Le titre qui suit, « Wings Off Flies » commence comme une comptine adolescente, à base de « elle m’aime un peu, beaucoup… » . Grâce au titre, on suppose que ce ne sont pas les pétales d’une pâquerette que cet amoureux transi arrache pour savoir si son amour est réciproque et la chansons se terminant par « she loves me not », on ne sera pas surpris par l’absence de happy end avec le dernier titre « A Box For Black Paul ». Il s’agit d’un morceau plus chanté, prémices certains du prochain album “The First Born is Dead » avec ses tonalités de blues, et sa compo plus classique à base de “couplet/refrain” (avec du spoken énervé quand même). Si le titre vous paraît interminable, c’est tout à fait normal dans la mesure où il dure pas moins de dix minutes.
Cet album est difficile d’accès pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas Nick Cave. Clairement, si vous souhaitez faire découvrir la discographie des Bad Seeds à une oreille peu aguerrie, ne commencez pas par celui-ci. En revanche, si vous avez affaire à un fan de post-punk et d’underground, faites l’inverse.