Cher Toi
Tu n'es pas sans savoir que chaque jour qui passe, tu fores ma peau et pompes mes veines sans relâche. Si du moins, cela concerne l'entiereté de ta race sans que tu en sois conscient, sache que même infirme, tu respires mon air. Même mort, tu pourrira ma terre. J'ai beau faire monter la fièvre pour vous faire comprendre que vous êtes la maladie, rien n'y fait : ta soif, vôtre soif semble inextinguible.
Je ne sais pas à quel moment je t'ai perdu toi et les tiens : d'abord, il y a eu les prémices, les tâtonnements. Le ciel n'était alors que bleu où noir. Il n'y avait pas en ces temps ce gris qui strille mon crâne aujourd'hui et qui se nomme civilisation. A toi je m'adresse, car il m'a bien semblé que tu fus toi aussi, à un moment,un enfant. Sauvage. Libre. Que fais-tu aujourd'hui, loin de tout ce qui t'as construit ? Loin de moi ? Apprivoisé, tu es devenu un soldat de plomb qui coule dans un chaudron de poison. J'ai mal, cher Toi. Tu ne le vois pas, tu ne l'entends pas. Qu'attends-tu, que ton ventre gargouille une dernière fois avant de mourrir de faim ? C'est trop tard maintenant ; la fin t'as toujours semblé loin, mais voici qu'elle approche et que plus rien ne la repoussera.
Personne ne voit la fin, personne n'en est témoin, car elle est la fin de tout.
Je t'envoie alors mes 4 Musiciens de l'Apocalypse. La fin, ils te la feront entendre.
Eux, dont leur salive fut produite par l'eau bouillonnant au coeur des plus puissants siphons des planètes océans, eux qui frappe les cordes vocales où de guitare avec la puissance du tonnerre. Ils portent le souffle de la naissance et de la destruction avec eux : leurs mélodies déjantées et désespérées présageaient bien avant même que je ne l'imagine la vie dans toute sa complexité, et elles continueront bien après ta disparition. Ils semblent avoir capturé l'essence de l'éternel reccomencement dans leurs boucles malades, et hurlent la douleur qu'est la conscience de la destruction pérpetuelle, comme un fou qui refuse de se voir dans une chambre tapissée de miroir. Gojira, car tel est leur nom, est une symphonie du vide dans lequel tu évolues pérpetuellement. Des boucles mélodiques chavirantes qui finissent par sombrer en opéra du chaos, ils jettent une malédiction mélancolique, une déférlante enragée et attristée. Sous hypnose, ils te terrifient et te confortent. La puissance de la mort s'abat sur toi en même temps que leur ombre de dragon. Puis vient cet instant suspendu où la baleine volante, venu de Mars, voguant vers Sirius, passe devant la Lune. L'éclipse parvient : tout est clair maintenant, tu vois que tout est sombre. Le mensonge et la peur qui ont poussé la musique dans ses pires extrêmes éclatent aujourd'hui, comme une revanche tempétueuse.
La Mienne.
Je m'en vais donc, cher Toi, et te souhaite bonne chance. Ne perds pas espoir : tu n'es pas le monstre qu'ils te montreront mais bien son bourreau. La fin est inévitable, mais la combattre te permettra peut être de partir dans quelque chose de plus signifiant qu'une bourrasque brusque et rapide, qui dispersera ton souvenir dans les étoiles.
Tu m'as tué.
Bien à toi,
Ta planète mourrante, Ton Dieu en colère, Ta Nature sauvage, Ton humanité en pleurs, Ton corps meurtri, Tes idées noires, Ton coeur vide.