Pour écouter en lisant.
Brassens, c'est un peu le tonton de la France. Tu le vois bien, ce tonton un peu haut perché, la tête se perdant dans le nuage odorant dégagé par sa bouffarde, celui que môme tu attends impatiemment, que tu regardes les yeux écarquillés, tout plein de cette admiration de gosse.
Puis il te prend par les aisselles, te cale sur son genou immense et pendant que les parents servent le café, te raconte la vie, les gens, les lieux.
Enfin, après avoir parlé de trucs de grands, il s'en va comme il s'en était venu, dans un nuage, emportant avec lui son odeur de tabac froid et ses idées rebelles...
Brassens c'est un amour de jeunesse, quand j'étais mioche à l'époque où mes camarades dansaient sur "Noumanoumayé" - j'étais en primaire, m'en souviens - je me calais comme un ahuri devant la grosse chaîne hifi de la mezzanine, une grosse chaîne qui faisait cassette, phonographe et cd. Une sony - tiens, tu sais qu'elle marche toujours - placée pas loin d'un vieux tapis tout doux.
Bref, je me calais là et j'écoutais Brassens en boucle sur une cassette dont j'avais fini par user la bande, puis sur deux cd du "meilleur de brassens".
Je récitais par cœur une petite chanson qui parlait d'une jolie fleur dans une peau de vache, je chialais pour le petit cheval blanc, j'te jure, mais j'étais môme et je pleurais à chaque fois que la maman de Bambi mourait.
J'aimais tellement le Tonton Georges que je me suis vu offrir trois cd du bonhomme avant que, revenant du Maroc, mon papa me ramène une bonne quinzaine de cd à l'imprimé douteux qui contenait l'intégrale des chansons de Brassens. Le pied, mon bonhomme, j'ai pas arrêté d'écouter ça.
Puis le temps passa et comme le chante l'autre Bob the times they are a changin', tu vois. J'ai laissé la chaîne prendre la poussière, je me suis ouvert à tout un tas d'horizons musicaux, Tonton Georges s'est effacé sans cesser de planer quelque part, dans mon inconscient. Puis j'y revenais, le temps d'une chanson, par-çi par-là, sans trop de conviction mais toujours avec cette tendresse qu'on a pour les choses de son enfance.
Et récemment je me suis lancé avec frénésie dans une intégrale, parce que je pense que j'suis à une sorte de tournant, quelque part dans ma vie et que je veux me raccrocher à ce qui a fait mon enfance ... musicalement en tout cas, c'est Georges, quelque part.
Et puis quand on est adulte, ça a la même saveur qu'enfant et tout une couche de texte par dessus, d'anarchie, de paradoxes vis à vis de la religion puisque Brassens est férocement anti-clérical mais qu'il lui arrive de parler avec tendresse du grand barbu d'en haut. C'est plein d'amour pour la femme sous toutes ses formes, même pour les emmerderesses, de dérision gentille pour lui-même, de copains, de mépris pour les cul-terreux accrochés à leur clocher, pour les bien-pensants et papes du "qu'en-dira-t-on".
Brassens chante la vie, avec brio. Il chante la fesse avec des phrases ciselées, roulant les r avec chaleur. Il s'accompagne d'une guitare rendant simple les plus belles variations de rythme, n'étalant pas sa maîtrise mais rimaillant humblement.
J'aime bien Tonton Georges, moi. Il se la raconte pas, finalement, il n'en a pas besoin pour parler de ces petites choses qui font la vie, pour balancer ses idées et pour partager avec les autres.