Fever Ray - I'm not Done


Pour son premier métrage dans le cadre du mouvement Dogme95, Vinterberg nous immerge dans un repas de famille bourgeois prenant place dans le manoir familial, isolé dans la campagne Danoise.
Filmé caméra à l'épaule en respectant le credo du mouvement initié par Vinterberg et Lars Von Trier.
Point de lumière artificielle ici, on s'éclaire au soleil, à la lueur de la lune ou bien à la bougie. On ne montre point d'action superflue, pas de meurtres sanglants, on respecte une unité de temps et toute musique doit être intradiégétique.
Je ne connaissais pas spécialement ce mouvement Danois, mais Festen fait un très bon porte-étendard de ce genre en revenant à une simplicité érigée en vertu face à la débauche d'effets du cinéma anglo-saxon.


Si le parti-pris peut parfois déranger au long du métrage, avec une obscurité nuisant parfois à la compréhension, on saluera la performance et l'authenticité qui se dégage de la pellicule, nous précipitant dans les tréfonds de cette famille en apparence heureuse et porteuse de lourds secrets.


C'est bien cette caméra fouineuse qui nous plonge au cœur de ce qui semble être un film de famille. Domine l'impression d'être tombé sur un film tourné par un grand-oncle virtuose, témoin silencieux mais physiquement présent (Michael heurtera à un moment la caméra). Reste quelques plans qui ne respectent pas totalement le "credo" Dogme95, on s'en accommodera.


Vinterberg traite avec brio de l'omerta qui pèse sur la famille, des faux-semblants et joies feintes qui cachent mal les affres d'une vie faites de traumatismes et de non-dits aux conséquences terribles. Le jeu des acteurs est superbe, que ce soit Henning Moritzen dans le rôle de ce père bourgeois qui dissimule sous ses airs débonnaires un caractère bestial, Ulrich Thomsen dans le rôle de Christian, le fils décidé à confronter ce dernier, assénant une terrible vérité à chaque toast, précédé d'un tintement cristallin sonnant comme un glas, Thomas Bo Larsen - vu et apprécié dans La Chasse du même Vinterberg - en jeune chien fou instinctif, violent dans ses colères et ses passions. Notons pour la beauté de la forme la magnifique Trine Dyrholm, soubrette élancée et aimante qui couve Christian de ses regards doux et protecteur.


Le secret, le silence, le non-dit et la force de l'opinion publique sont les thématiques principales qui apparaissent dès le début comme autant de fausses notes révélant les failles sous le masque. La caméra qui peut se trouver au plus près de ses protagonistes insiste aussi sur les faux-semblants et les dissimulations. Que ce soit une discrète main portée à la croupe d'une serveuse aguichante alors que le conjoint est à côté, les regards en coin, les disputes dissimulées, les tics, rictus et les incompréhensions premières, tout nous interroge et prépare la révélation que l'on sent poindre derrière les traits tendus de Christian. Cette mise en tension intelligente et ce choix de mise en scène, tout cela participe à l'excellence de ce métrage que je ne peux que recommander chaudement tant l'on prend plaisir à suivre cette fête d'anniversaire qui se transforme pour le père et la famille en véritable cauchemar.


Par la suite, je vais dévoiler l'intrigue pour essayer de pousser modestement mon analyse. Si vous n'avez pas vu le film, n'allez pas plus loin et j'espère vous avoir donné envie de le voir.


L'enjeu principal de ce repas est la revanche d'un garçon outragé par son père, la revanche sur un tortionnaire impitoyable qui par ses attouchements répétés sur ses deux enfants - Christian et sa sœur Linda - conduit l'un à l'exil et à la chasteté, l'autre au suicide par noyade.
Revanche qui passe par la révélation de l'acte incestueux dont ils furent victime, lui et sa sœur, acte cautionné par les silences d'une mère attachée aux apparences et désirant protéger son illusoire bonheur familial et par des frères et sœurs absents, trop jeunes ou trop effrayés pour parler.


Vinterberg développe aussi cette thématique qui se retrouve dans La Chasse, celle du groupe social - la famille, les amis, la confrérie maçonnique - face à la révélation, au choc, à l'exposition de ses faiblesses ou de la cruauté de l'un de ses membres estimés. C'est tout l'enjeu du combat de Christian aidé par son ami traiteur et les serveuses, confronté les invités à l'impensable, à l'horreur pour faire exploser cette inertie étouffante et éclater les carcans du socialement correct.
Car la première réaction face à cette "bombe" est la fuite, prétendre qu'il ne s'est rien passé, que l'on n'a pas entendu, la volonté de partir pour "ne pas être mêlé à tout ça". Dans l'impossibilité d'échapper à la confrontation, la réaction se traduit alors par le rejet, jusque dans la fratrie. Le déni conduit à la douleur physique - les maux de tête d'Hélène - ou bien la violence employé par Michael et quelques invités à l'encontre de ce frère dérangeant qui débite des insanités que personne ne veut croire mais dont tout le monde comprend la véracité.


Si cette omerta est brisée l'espace d'une soirée, le retournement s'effectuant en faveur du fils et le père se trouvant désavoué, forcé à l'exil dans une annexe de la maison, le jeu reprend le lendemain autour d'un petit déjeuner on ne peut plus normal et convivial. Le "jeu social" est remporté par Christian, en quelque sorte maître du groupe tandis que Helge n'est plus qu'un élément dérangeant dont la vue est source de gène, prié de se retirer et privé de la parole qui n'atteint plus ses interlocuteurs.


Meurtre symbolique du père tyrannique, Christian se libère aussi de son destin, de cette fatalité qui pèse sur lui et sur sa famille. En exposant les fautes de son père, en dénonçant le silence coupable et complice, il libère sa famille de son sort et lui-même, étranger toujours prisonnier de son Danemark natal peut enfin se réconcilier avec son passé et accepter son futur, à travers cette demande finale à Pia et les brèves retrouvailles avec sa sœur Linda qui lui donne sa bénédiction.


Un très beau film, à n'en pas douter, sans ce manque cruel de luminosité à certains instants qui est vraiment un frein à la lisibilité j'aurais donné un neuf. Reste que le film La Chasse qui aborde sensiblement les mêmes thématiques (avec des variations, j'en conviens bien, notez-le) est porté par son esthétique somptueuse qui a ravit mon cœur.

Petitbarbu
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le 22 août 2015

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