Sur la très belle pochette de Ghetto Bells, on voit Vic Chesnutt debout, adossé à une vieille caravane. À ses côtés, on croit d'abord distinguer des béquilles, mais il s'agit en fait d'un trombone, posé sur un fauteuil. Un vrai fauteuil, sans roues. Cette photo dégage quelque chose de profondément touchant, comme un pied de nez à la fatalité, un défi à la gravité. Surtout, elle accompagne le meilleur album de Vic Chesnutt depuis des lustres, meilleur encore que Silver Lake en 2003, mais toujours en deçà de son chef-d'oeuvre de 1995 (Is The Actor Happy?). La grande idée du petit Américain sur ce neuvième Lp, c'est d'avoir réuni une sacrée troupe autour de lui pour donner corps à des chansons qui s'éloignent de plus en plus du folk sombre et tendu qui a fait sa réputation. Van Dyke Parks est de la partie avec son piano et son accordéon, mais c'est surtout le génial Bill Frisell qui donne à Ghetto Bells sa couleur si particulière. Grand guitariste de jazz qui fraye régulièrement avec la pop (en compagnie d'Elvis Costello ou plus récemment de Petra Haden), son jeu est époustouflant, comme un écho aérien. Sur les sublimes Forthright et What Do You Mean, il apporte une souplesse et une ampleur inédites à des mélodies sereines. Sur une palette rythmique variée et subtile, piano, contrebasse et cordes tirent l'enregistrement vers des contrées où les frontières entre pop, jazz et folk se brouillent pour ne former qu'un seul territoire dense et passionnant. Changeante et chargée de sentiments mêlés, la voix de Vic Chesnutt est plus douce que jamais, souvent accompagnée de choeurs, comme sur Rambunctious Cloud, ballade vénéneuse et pièce maîtresse d'un disque miraculeux. (Magic)