Lorsqu’en 2012, « le monde » découvrit, enchanté, le premier album de Django Django, il était tentant de parler d’un « joli coup de bluff » de la part de l’un de ces trop nombreux groupes anglais qui disparaîtrait une fois passé le coup de hype qui les avait portés au pinacle : car enfin, quelle pouvait bien être la date de péremption de cette « salade russe » qui mélangeait au dépit du bon goût délires électro enfantins, mélodies pop classiques et clins d’œil à une multitude de genres musicaux mixés dans une sorte de post-moderniste cinématographique « tarantinesque » ? Le second album, "Born Under Saturn" (2015), plis cohérent et moins dispersé, témoignait plutôt, pourtant, d’un effort du groupe pour proposer une musique plus sérieusement tournée vers l’avenir, basé sur des rythmes infernaux et de l’électronique à foison, sans vraiment convaincre, du fait d’une inspiration en berne.
C’est avec "Marble Skies" (2018), que les choses se compliquèrent, car on y trouvait à la fois un talent pop digne d’évoquer les plus grands (Beach Boys, XTC, disons, pour dessiner le territoire de Django Django) et une véritable passion pour le dance-floor, qui montraient que la bande à Vincent Neff ne mettait pas trois ans à chaque fois pour composer un album pour rien, et avaient une vision claire de leur musique et de leur avenir. Ne manquait plus qu’un peu plus de matière en termes de compositions pour atteindre la perfection : allez, les amis, prenez 5 ans s’il le faut pour composer des titres encore meilleurs, et vous y serez !
Eh bien, non, en 3 ans encore une fois – et moins même, puisqu’il paraît que ces chansons ont été composées avant le Covid19 (d’où sans doute ce sentiment enivrant de party qui ne finira jamais, tranchant avec la morosité de nos temps actuels…) – Django Django y sont arrivés, et Glowing in the Dark représente sans doute ce que l’essence de ce que le groupe sait faire : bourré jusqu’à la gueule de mélodies accrocheuses, d’une inventivité constante, d’une énergie ludique imparable, voilà le disque de l’excellence pour Django Django, sans que la maturité se soit traduite le moins du monde par plus de sagesse… au contraire !
Le démarrage du disque est très impressionnant avec un "Spirals" qui nous entraîne sur une sorte de dance-floor existentiel digne de New Order (un électro-rock répétitif et obsédant) ou The Cure (la basse en avant, menaçante), mais au goût de notre époque, et assorti de ces mélodies à la fois entraînantes et vaporeuses qui caractérise clairement Django Django : c’est, avec le superbement romantique "Hold Fast", l’un des deux morceaux « sérieux » de "Glowing in the Dark", où l’on se dit alors que Django Django approche ici la grandeur d’un Foals. Mais c’est aussi un trompe-l’œil, car dès l’accélération punky et extatique de l’irrésistible "Right the Wrongs", on comprend que Django Django ont choisi de revenir – enfin, dirons ceux qui n’ont pas apprécié les deux albums précédents du groupe – vers la légèreté et le jeu scintillant de leurs début : "Get Me Worried" est une merveille pop qui se transforme en samba carioca en passant de l’anglais au portugais, une chanson sparadrap dont on se débarrasse pas facilement.
On passera, par fierté nationale, sur la fadeur un peu niaise et franchement inutile rajoutée par la voix de notre Charlotte Gainsbourg à nous, sur le par ailleurs très beau "Waking Up". "Free from Gravity", chaloupé et rebondi, n’aurait pas déparé sur le dernier et excellent album de Vampire Week-end, mais s’élève vers le firmament sur un refrain illuminé par l’électronique. "Headrush" se dévoile alors que, bien échauffés par ce qui a précédé, nous avons déjà offert notre cœur à cet album, ou alors que, suivant nos goûts, nos dansons extatiquement dans le night-club virtuel de notre imagination confinée : quatre minutes parfaites, LE tube de "Glowing in the Dark", s’il ne fallait en choisir qu’un seul, la matérialisation des promesses de "Marble Skies", ce dont nous ne pouvions que rêver jusqu’à présent.
La seconde partie de l’album, après ce sommet, se permet, dans l’esprit du premier album, de revisiter avec fantaisie un spectre musical parfois inattendu : le krautrock cosmique dans "The Ark", le western psychédélique – voire orientalisant – dans "Night of the Buffalo", le folk sensible dans "The World Will Turn"… On se fera tous surprendre par la sonnerie à la porte au début de "Kick the Devil Out", même si c’est là l’un des titres les moins surprenants, justement, de l’album : une légère déception immédiatement rattrapée par l’enthousiasmant délire technoïde du morceau "Glowing in the Dark".
Et après l’émotion superlative de "Hold Fast", on se quitte sur l’aurevoir enchanté de "Wanting for More" : « We had the time of our lives / And we’re still asking for more / But now we know / We gotta go » (Nous venons de passer les meilleurs moments de notre vie / Et nous en demandons toujours plus / Mais maintenant nous le savons / Nous devons partir…). Eh oui, on en veut plus, beaucoup plus même, d’une musique de cette qualité !
Impeccable résumé de la riche carrière d’un groupe qui compte désormais beaucoup plus que ce que l’on imaginait en 2012, "Glowing in the Dark" est incontestablement le sommet musical de Django Django. Espérons une fois de plus que la situation pandémique évolue, il serait rageant qu’ils ne puissent pas venir le défendre et le magnifier encore, comme son prédécesseur, sur les scènes françaises.
[Critique écrite en 2021]
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