Heartworms, c’est le nom de guerre – un terme choisi en toute conscience de son sens – de Jojo (pour Josephine) Orme, une jeune londonienne très impressionnante, qui vient de sortir son premier album, Glutton For Punishment, faisant suite à plusieurs singles et un EP (A Comforting Notion, en 2023) qui avait attiré l’attention de la critique sur elle. Jojo est une fille de notre époque – métissée, mélangée, multiculturelle, n’en déplaise aux forces réactionnaires qui prolifèrent en ce moment : elle a des origines afghanes, pakistanaises, danoises et chinoises !

Mais ce qui la définit sans doute bien plus, c’est une enfance difficile, conjuguée à des grandes ambitions musicales, voire même artistiques au sens large. Il suffit de regarder les mini-films que sont les clips de ses chansons pour constater cette ambition, avec un discours complexe, ambigu, et des images régulièrement malsaines. Il y a aussi derrière tout cela une fascination peu commune pour… l’histoire militaire (!), et ce que Jojo décrit elle-même comme « an unhealthy cycle of craving harsh discipline, greedy for the familiarity it brings but terrified of the consequences » (un cycle malsain de désir d’une discipline sévère, de besoin de la familiarité qu’elle apporte, mais aussi de terreur de ses conséquences), qui tranchent quand même violemment avec ce que font 99% des musiciens de Rock !

En Grande-Bretagne, les critiques, très positives, ont pointé des influences post-punk (bâillement), gothiques (OK…) et dance-punk (oui !), mais aussi l’exploration de thèmes très « personnels » comme la punition ou l’inconfort, à travers des titres comme (le totalement fabuleux) Warplane et (le méchant) Jacked. Mais on peut aussi dire que Just To Ask A Dance a quelque chose de formidablement cinématographique, conjugué à une mélodie pop efficace. Ou que Extraordinary Wings est une superbe ballade dont le lyrisme est remarquablement maîtrisé par un impérieux sentiment de menace sourde, qui finit par nous faire danser dans une heureuse hébétude. Pas moins…

Mais finalement, ce qui frappe dès la première écoute, c’est combien cette musique est… belle. Et fascinante. Et capable de culminer d’un coup dans des pics d’intensité rares sur disque (Warplane, Celebrate). Mais aussi, finalement, facile à aimer en dépit de sa noirceur et du malaise qu’exsude son interprète. On parle là d’un disque rempli de mélodies, portée par un chant magnifique et une production raffinée, un disque qui vous « emballe » dès la première écoute – ce qui frustrera peut-être ceux qui s’étaient habitués à des choses plus extrêmes de la part de Heartworms. Un premier disque qui pourrait bien marquer la première étape de l’ascension d’une future grande artiste populaire.

Mini-diva chamanique, sombre prêtresse cyberpunk, séduisant caméléon de l’inconfort, Heartworms a su mettre en valeur son cœur noir en s’inspirant (ou pas... en tout cas en évoquant) autant de la PJ Harvey mature d’aujourd’hui (comme sur Smugglers Adventure) que de LCD Soundsystem, en passant par la pop synthétique d’un Depeche Mode… ou les torrents sonores que créèrent jadis ensemble Robert Smith et Siouxsee : de sacrés références, qui traduisent combien ce Glutton For Punishment nous impressionne.

Et la manière dont il se referme (ou s’ouvre, plutôt, finalement) sur une magnifique chanson (Glutton For Punishment), dépouillée comme un adieu résigné (« When you die, I’ll die / A mutual sigh / With your hand in mine / The Flame fades pale » – Quand tu mourras, je mourrai / Dans un soupir mutuel / Avec ta main dans la mienne / La flamme faiblira, pâle), prouve que nous sommes au contraire au début d’une grande, d’une très grande histoire.

Glutton For Punishment est notre coup de cœur de ce début d’année.

[Critique écrite en 2025]

https://www.benzinemag.net/2025/02/27/heartworms-glutton-for-punishment-notre-coup-de-coeur-de-ce-debut-dannee/

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Liste chronologique des concerts auxquels j'ai assisté [en construction permanente]

Créée

le 2 mars 2025

Critique lue 14 fois

1 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 14 fois

1

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

192 j'aime

25

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

192 j'aime

118