good kid, m.A.A.d city par Woopo
Il y avait longtemps que je n’avais pas pris la peine d’écrire quoi que ce soit sur un album, probablement des années, un exercice que j’adorais pourtant. Par fainéantise ou manque d’intérêt dans les sorties, j’attendais sûrement le disque qui fasse la différence.
L’épreuve du 1er album est toujours un moment compliqué pour un artiste, en particulier quand il est précédé d’une mixtape qui a fait l’unanimité et que le buzz est au plus haut, beaucoup s’y casse la figure. Je le dis tout net, je ne me rappelle pas avoir entendu un premier album aussi intéressant depuis Fashawn (Boys Meets World -2009), voire Lupe Fiasco (Food&Liquor -2005), il se trouve qu’il pourrait même bien les surpasser, la messe est dite.
« Good kid, mad city »
Le titre ne peut pas être plus explicite et sera la trajectoire des 12 pistes du disque, le parcours d’un gamin dans un monde de fous.
Kendrick fait une entrée remarquée dans l’art du storytelling (déjà bien présent dans Section80), genre malheureusement assez délaissé, le rappeur est ici narrateur tout en jouant le premier rôle qu’on imagine mal autrement que autobiographique. La qualité de la mise en scène est d’un réalisme remarquable : visuels, bruits, odeurs, lumières, température californienne, tous les sens se mettent en éveil grâce à des descriptions et une écriture à tomber à la renverse. De Sherane aka Master Splinter Daughter, à Sing About Me en passant par l’excellent The Art of Peer Pressure, on regorge d’histoires, où Kendrick sera souvent en position de suiveur dans un groupe de potes excités dans un environnement toujours violent, à Compton.
Compton fait presque office de fantasme collectif dans le monde du rap, le ghetto de Los Angeles laissé pour compte aux gangs, à la prostitution, la drogue, le chômage, mille fois dépeint dans des disques depuis les années 80 dans des galettes historiques de NWA, Ice Cube, DJ Quik ou Dr Dre entre autres. Si l’exubérance et l’exagération était plus ou moins de mise avant, Kendrick évite le sensationnel mais ne réduit en rien le tableau de l’état des lieux, catastrophique, en se mettant en scène lui même adolescent pragmatique, réfléchi et pas chercheur d’embrouille mais se laisse dépasser par l’influence des potes forcément immatures et de l’atmosphère ambiante qui exige une attitude et une ligne de défense (voire d’attaque) à toute épreuve. Faire la balance entre les gangs qui contrôlent chaque rue, sans jamais ne faire parti d’aucun d’entre eux est aussi invivable que d’en faire partie, le cul entre 2 chaises, rendu suspicieux par tous le monde, y compris la police forcément figure méfiante aux relents racistes (mais pas un sujet majeur de l’album). Ici la ville elle même est une entité vivante qui corrompt à l’extrême même les êtres les plus droits.
« Them serpents lurking blood »
Les histoires de la vie d’un adolescent qui grandit plus vite que la moyenne sont immersives, dès l’ouverture de l’album on le suit sans rater un seul détail, du salon au trajet dans la voiture de sa mère, l’arrivée dans la rue de sa copine avec qui il pensait vivre le parfait amour, la méfiance soudaine s’installant suivi d’une brutale montée de stress et le blackout. L’intérieur du van, enfumé, se laissant aller à la surenchère des potes, jouer les caïds candides dans les quartiers riches, braquer une maison pour y prendre des jeux vidéos et dvds, mettre de la coke dans un pétard à son insu, les problèmes d’addiction, des conneries de gosses. Mais dans ce monde resserré, violent et armé, les dérapages sont fatals.
« Dooh-Dooh-Dooh ! Dooh-Dooh-Dooh ! »
Le jeune Kendrick jongle, essaie de trouver un équilibre. Entre sa vie « à la maison » et celle en dehors, le contraste logique entre la relation avec ses parents présents, celle avec les potes, et celle avec Sherane dont il rêve de se marier et s’éclipser. Trouver un équilibre entre le vice de sa vie, la recherche d’argent par tous moyens, la drogue, le sexe et un esprit de moral pourtant présent, de repentance, d’un dégout d’une vie qui ne lui convient pas, il cherche ainsi beaucoup de réponse dans la religion qui lui permettrait de ne pas sombrer et rester attentif à ses dérapages mais en se torturant l’esprit à la manière de Harvey Keitel dans Mean Streets.
« Halle Berry or Halleluja ? pick your poison, tell me what you do »
La tête de Kendrick est donc bien chargée, l’album n’est pas pour autant un défouloir mais tout de même un outil de libération de conscience pour lui permettre, j’imagine, de pouvoir vivre mieux dans le future.
« As the window open I release everything that corrode me »
La palette d’émotions est donc variée, le parcours est tumultueux et Kendrick est plutôt du genre cérébral, à faire parler les morts et anges déchus pour étancher ses remords.
« I promise that you will sing about me »
Sur la forme, ça a de la gueule. La production est classieuse mais pas ostentatoire, là encore aucune surenchère du coté de l’habillage, c’est propre et discret, souvent smooth et jazzy, pas de démonstration de force même de la part des têtes d’affiche établies afin de laisser la voix et les mots au premier plan. Dr Dre ne s’occupe que du mixage, ce qui est à mon sens sa plus grande qualité, le résultat est éclatant. (En plus d’être, du coup, un produit atypique sur une sortie Aftermath)
Seul la prod de Just Blaze est explosive histoire de finir en apothéose sur un fracassage de nuque en règle.
Coté invités, MC Eight et Dr Dre pour un Compton’s Most Wanted/NWA revival, Drake pour le cul, et surtout Jay Rock pour un couplet superbe, exécute un traveling assez dingue dans Compton sur Money Trees.
Et puis il y a Kendrick, personnalité intéressante et sincère, se permettant toutes les extravagances quand il s’agit de poser au micro, flow, rythme, variations de voix, refrains. Il est du début à la fin le centre d’attention d’un projet ultra cohérent, comme on n’en voit que très rarement, chaque morceau tient sa place et pas un seul déchet à déclarer. 12 tracks pour un projet à la hauteur des espoirs. (Evitez l’achat des 3 tracks supplémentaires de la version Deluxe, inutiles et hors sujet.)
Dans la trajectoire des grandes heures de Ice Cube et Outkast (The Art of Peer Pressure fait flotter un parfum d’Aquemini), Kendrick sort un disque qui au final ne ressemble à rien d’autre, on plonge dans son monde et on s’y noie plus ou moins. Brillant.