En mourant tragiquement le 25 août 2001, Aaliyah disparaissait à l'aube d'une carrière qui s'annonçait mirifique. Beauté, voix, talent, elle avait tout. L'impression d'un horrible gâchis. Tel était le sentiment dominant parmi beaucoup d'observateurs et d'amateurs de R'N'B. Mais ils étaient peu nombreux à pouvoir prédire que la période qui allait suivre allait constituer un mini-âge d'or pour ce genre musical méprisé par les puristes et adoré par les teenagers. De juillet 2001 (date de la sortie du dernier disque d'Aaliyah) au 25 octobre 2007 (date de la sortie du Blackout de Britney Spears), le monde allait connaître pour le R'N'B ce qu'il avait connu avec Motown entre 1964 et 1967 : une période bénie, submergée de singles fabuleux où producteurs géniaux (Timbaland, Les Neptunes, etc...) et artistes talentueux (trop nombreux à citer mais on peut évoquer Usher, Beyoncé, Rihanna, Jamelia, Cristina, Justin, Cassie, Amerie, etc...) allaient rivaliser d'ingéniosité pour éblouir la planète pop. Comme au temps où la Tamla régnait en maître sur les charts américains, les hits manufacturés s'enchaînaient en ne laissant que des miettes aux artistes relevant d'une autre orientation stylistique.
Le disque de Ciara parut au moment pile où ce genre atteignait son zénith (coïncidant pour moi avec le single d'Usher, Yeah (janvier 2004)). Il en devint son blason au même titre que le I Hear A Symphony des Supremes pour le style Motown.
Faisant avec Ciara ce que Timbaland avait fait avec Justin Timberlake, Lil Jon confectionnait un disque-carte de visite qu’elle aurait ensuite beaucoup de mal à égaler. Tirant partie d'une voix limitée mais très sensuelle et suggestive, Lil Jon allait viser juste. En pleine vague crunk, mélange subtil de sons électroniques sophistiqués, de featuring de rappers et de feulements d'excitation, ce disque synthétisait tout ce que beaucoup de jeunes américains aimaient à entendre. Et les trois singles (Goodies; 1,2, Step; Oh), aussi prodigieux en 2018 qu'au moment de leur sortie, allaient tous une faire une carrière superlative dans le Billboard (que des Top 5!). Le talon d'Achille de ces disques, on le connait tous : les ballades, hyper-sirupeuses, recyclant ad-nauseam le I Will Always Love You de Whitney Houston mais sans la carrure vocale. Peu de ces errances ici (en dépit d'un duo avec R. Kelly à oublier) même si le reste du disque pâtit du voisinage aussi hors-classe des 3 singles déjà nommés. Mais par-ci, par-là, il y a des inflexions, une fébrilité paradoxale pour une artiste si "freak control" (le demi-cri de Lookin' At You) qui laissaient espérer une carrière ultérieure davantage couronnée de lauriers.
En l'état, un disque indéniablement lié à son époque mais comme Lady Soul sent son 1968 ou Risqué son 1979. Si près de 15 ans après sa parution, ce disque plait encore autant, gageons que la génération de nos petits-enfants saura le redécouvrir avec volupté.