Halcyon Digest
7.5
Halcyon Digest

Album de Deerhunter (2010)

En voilà un groupe bien singulier...


Deerhunter, joujou de Bradford Cox (également leader d'Atlas Sound), peut-être bien l'un des derniers grands. Un illuminé, un vrai, quelqu'un de fondamentalement différent avec une vision et une vocation. Loin de l'opportunisme ambiant et de la branchitude indé, Bradford Cox est un artiste à part entière, dans le sens le plus romantique et le plus noble du terme.


Atteint du syndrome de Marfan, les traits et la carrure de Cox sont assez impressionnants à vrai dire. Laissé plus ou moins à l'abandon par ses parents divorcés dans une grande maison de banlieue, Bradford Cox grandit seul, totalement isolé. La maladie le tient à l'écart de ses camarades, il s'identifie à Edouard aux Mains d'Argent, découvre sa tendance à l'homosexualité et passe des journées seuls à écouter la musique qui exprimerait le mieux la mélancolie, la nostalgie et la tristesse qu'il ressent dans son cœur (Stereolab fait partie de ses préférés).


Loin de virer dans le misérabilisme, Bradford Cox tente de trouver les sons qui transcenderaient son existence et lui permettraient de s'évader de sa morne vie. Il expérimente et compose parce qu'il en a réellement besoin pour vivre, ce qui le rend fondamentalement différent de tout les soit-disant artistes qui ne voient dans la musique qu'un simple "loisir" passager. L'enjeu est tout autre chez Cox.


Ce faisant le jeune homme va former Deerhunter dès 2001. L'histoire commence tragiquement puisqu'en 2004 le bassiste du groupe, Joshua Fauver, meurt lors d'un accident de skateboard... S'en suit en 2005 la sortie du premier album du groupe, Turn It Up Faggot, évidemment accouché dans des conditions terribles et décrit par le groupe lui-même comme "saturé de négativité et de mauvaises vibes".
En 2007 et 2008 paraissent tout de même les deux albums qui populariseront le groupe dans le monde du rock indé: les très bons Cryptograms et Microcastle, s'orientant alors vers une musique plus pop et accessible qu'auparavant. Ils collaborent par la même occasion avec Jay Reatard sur Fluorescent Grey et s'attirent plutôt logiquement une solide réputation grâce à leurs chansons comateuses hautement hypnotiques et leurs excellentes prestations scéniques.


En fait ce qui est bien avec Deerhunter c'est que les expérimentations les plus osées ne sont désormais plus synonymes de bâillements polis. Comme si les escapades aventureuses de Sonic Youth étaient remises au goût du jour, napées sous de belles mélodies et servis avec un fort accent psychédélique... Du coup c'est presque Teen Age Riot tous les jours, et on ne peut que s'en réjouir.


Utilisant les courants de conscience pour écrire ses paroles (sorte d'écriture automatique, Cox n'écrivant jamais ses paroles en avance), Bradford Cox compose de sublimes chansons qui ne ressemblent à rien de connu, en adéquation totale avec ce destin de génie mal-aimé qu'il cultive bien involontairement.


Mais c'est avec la parution en 2010 de son dernier joyau en date que l'homme atteint un sommet inégalable. En pleine possession de ses moyens, résolu à laisser le temps aux mélodies les plus gracieuses de s'exprimer et d'envahir toute l'âme de l'auditeur, Deerhunter a produit un véritable chef-d’œuvre qui, on n'en doute pas, restera comme l'un des plus beaux instants musicaux de notre temps.


Halcyon Digest, c'est le nom de l'album, se savoure comme les grands albums d’antan, incompréhensibles au premier abord, trop grand, trop majestueux, trop différent... Et puis la magie opère, le temps fait son œuvre et révèle toute la splendeur de la musique. Les grandes envolées lyriques se font dans des cathédrales sonores impensables pendant que la voix détachée en écho de Cox survole l'ensemble...


Pourtant le tout est étonnamment contenu dans un cadre relativement pop: les chansons sont longues mais les mélodies sont là et bien là. Tout ici est en fait assez passionnant et on n'a pas le temps de s'ennuyer une minute. Les structures sont alambiquées, les textures et la production hyper-travaillées, comme ces carillons lointains et saturés qui résonnent dans "He Would Have Laughed"... Du coup on ne cesse de découvrir la richesse infinie de cette musique...
On se perd littéralement dans les dédales de ces chansons, on peut y revenir des dizaines de fois et découvrir à chaque fois de nouvelles subtilités. A en devenir fou vous dis-je.


Ce faisant Halcyon Digest est donc: mélodique, accessible mais loin d'être vendu, complexe, subtil, remplit d'émotions, riche et passionnant. Que demander de plus?


Une apothéose.

Rafael_S

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