Publié originellement sous le nom de "Halfnelson", avant que la maison de disques de Todd Rundgren, découvreur et producteur du premier "groupe" des Frères Mael, ne leur recommande de changer de nom, voici un véritable OVNI...
Totalement décalés par rapport à leur époque, Ron et Russell, deux jeunes californiens anglophiles - et petits-fils de Doris Day !!! - se lancent à contre-courant de tout ce qui fonctionne en 1971, dans une musique "pop" très expérimentale, qui cite, plutôt que Syd Barrett ou les Beatles, les dessins animés hystériques et la comédie musicale traditionnelle comme références et sources d'inspiration.
"Sparks" est un modèle d'intelligence pop, d'autant plus étonnant qu'il refuse donc de sacrifier aux canons de la pop music,... ce qui le rend d'abord perturbant, puis, au fil des écoutes, à la fois charmant et irritant, tant il prend systématiquement le contre-pied absolu des attentes de l'auditeur. En tirant paradoxalement profit de la raideur désarmante de son interprétation, ce premier album d'une carrière qui se poursuit encore 50 ans plus tard, paraît irrémédiablement décalé, légèrement hors de propos, mais c'est ce décalage même qui fait le charme inouï de ces chansons moins que parfaites, et donc plus-que-parfaites.
On sait bien que ce que Todd Rundgren - autre anglophile décalé, crédité comme producteur de l'album - a laissé les Frères Mael graver ici, ce sont plus ou moins leurs démos originales : s'agit-il de sa part de négligence, ou au contraire, d'une reconnaissance d'un nécessaire devoir de non-ingérence dans une oeuvre de jeunes débutants pourtant déjà impressionnants ? Toujours est-il que l'album souffre un peu de cette absence de production, se traduisant par une vraie incohérence entre les morceaux, et l'impression persistante qu'on est ici face à bon nombre de joyaux bruts, qui auraient brillé de mille feux avec juste un peu de polissage.
"Wonder Girl", à la mélodie redoutablement efficace, rencontra néanmoins un certain succès en Angleterre en pleine période "camp" et "glitter", mais une réussite comme "Slowboat" aurait mérité plus d'exposition (on notera que l'ami Ty Segall la reprendra à sa façon, le citant comme l'un des titres qui l'aura inspiré dans sa jeunesse !), tandis que le divin "Fletcher Honorama" dépasse largement les facilités d'un psychédélisme convenu. La magnifique conclusion de l'album, "No More Mr Nice Guys", a déjà ces accents épiques des futurs grands titres "sparksiens", et il est bien dommage qu'il soit ici bridé par un criant manque d'envergure et de souffle.
Il était évident, dès 1971, que les Frères Mael étaient des génies, même si Russell n'avait pas encore trouvé son fameux falsetto (sa voix évoque plus ici celle de Marlene Dietrich, ce qui n'est d'ailleurs pas un défaut !), et les trois autres musiciens tiennent plus du boulet accroché aux pattes de l'albatros tentant de prendre son envol que d'autre chose...
Heureusement, l'album suivant, le grandiose "A Woofer in a Tweeter's Clothing", allait représenter un pas en avant gigantesque...
[Critique écrite en 2020 à partir d'une première chronique écrite en 2002]