Avoir un nouvel album de Steven Wilson à écouter, c’est presque la certitude de passer un sacré bon moment. La dernière fois, on s’en souvient encore, c’était en 2013 avec The Raven That Refused to Sing (and other Stories). Un disque qui défendait une certaine fascination pour les contes fantastiques gothiques au fil de chansons passionnantes. Un chef-doeuvre, disons-le tout net, dont on ne pouvait prévoir qu’il serait si vite suivi d’un autre.

Hand. Cannot. Erase. s’enveloppe donc dans un élégant manteau de pluie sur fond de storytelling sans embage. En prenant le cas atypique de la disparition d’une jeune anglaise (Carol Vincent) partie à Londres pour s’évaporer socialement et physiquement au point que personne ne se soucia de son sort plus de deux ans après sa mort, Steven Wilson revient sur des concepts qu’il affectionne : la solitude, l’influence néfaste des nouvelles technologies, l’aliénation d’une société détruisant l’individu. Autant de notions abordées dans des projets crépusculaire comme Fear of a Blank Planet (2007) et The Incident (2009) sous la houlette Porcupine Tree. C’est d’ailleurs ce dernier album qui entretien le plus de relations avec ce quatrième opus solo construit comme une œuvre complète, entière, séparée en plusieurs chapitres mais suivant un axe narratif unique, Steven Wilson ne prend plus la place du spectateur qui commente l’action, préférant le rôle plus complexe et osé de la tragique héroïne.

Cet angle aura poussé Steven Wilson à approcher la sensibilité féminine au plus près, travaillant même quelques parties vocales avec Nibet Tayeb, chanteuse star israélienne rencontré lors de ses collaborations avec Aviv Geffen pour Blackfield. Le résultat est grandiose. On tombe d’emblée raide dingue de ce qu’il faut qualifier de “tuerie prog-rock” avec frissons dans le dos, force diabolique et pate à modeler musicale enchanteresse.

Cinématique, l’album déroule son ruban de rêve (ou de cauchemar, c’est selon) par la grâce de musiciens au taquet (Guthrie Govan, Nick Beggs, Adam Holzman, Marco Minnemann, Theo Travis). Se dessine alors une musique exigeante et singulière où l’on croise des chœurs d’enfants, des soli en vagues chaudes, du frémissant, un sentiment d’urgence paradoxalement rempli de sérénité et une maturité artistique au sommet. En témoigne, une nouvelle fois, un sens du packaging transformant un disque en objet multimédia indispensable (la version Deluxe est un régal).

Nul besoin d’être expert dans l’univers de Steven Wilson pour deviner le spleen qui émaille les 66 minutes de l’album. Une mélancolie qui n’épargne pas le raffinement virtuose des arrangements (« Hand Cannot Erase »), les déflagrations de guitares (« Routine ») ou ces rythmiques détonantes (« Ancestral ») pour mélodies en dentelles, hirsutes, tracassées, tendues (« Home Invasion »), aériennes (« Perfect Life »), fatales (« Happy Returns »). A force d’allumer des foyers tragiques et romantiques, Hand. Cannot. Erase. gloutonne jusqu’aux textes, retrouve par touches subtiles et délicates un condensé de son travail d’antan pour se métamorphoser en majestueuse compilation d’une carrière exemplaire. Une vertigineuse parenthèse temporelle.
AmarokMag
10
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le 2 mars 2015

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