"I think you should know... Daddy died today"
C'est sur ces mots laissés sur un répondeur que s'ouvre cet album de Poe, mon grand coup de cœur du moment. Je n'arrive pas à m'en détacher, j'y retourne sans cesse. Et le mieux c'est que, plus je creuse, plus je le trouve fascinant.
De loin, ça ressemble juste à un (très bon) album de pop. Les morceaux sont variés, entêtants, créatifs dans leurs changements de tons, dans leurs passages instrumentaux (avec un goût puissant pour les percussions). Poe est une excellente chanteuse. Elle envoie parfois des dizaines de mots par secondes et se laisse également aller à de longues envolées enivrantes, beaucoup plus tristes.
Ce que j'ai aimé en premier, c'est son énergie fédératrice. J'aime particulièrement les pistes qui sonnent comme une invitation à reprendre sa liberté, dans toutes ses formes, qu'elle soit créative, sexuelle, ou face à l'entrave de vieux démons qui nous hantent (c'est le titre de l'album, après tout).
A ce titre, j'adore "Walk the Walk", "Wild", "Not a Virgin", "Control", remplis de phrases libératrices.
"I wanna walk to the beat of my own drum" ; "You wrote the rules to try to contain me / You broke 'em / Now you have untamed me" ; "While you were tearing a hole in me / I was taking control / Now I have taken control / Don't you mess with me".
Je ne sais pas comment ça rend, à l'écrit, sans connaître les airs, mais plus je les écoute et plus je les vis quand elle les chante.
Puis, en creusant, on se rend compte de deux thématiques centrales dans cet album. La première que j'ai remarqué, ce sont les multiples références au roman de son frère, un certain "La Maison des Feuilles". Je ne l'ai pas encore lu mais elle parle tellement de toutes ses thématiques, parfois même de ses personnages, que j'ai maintenant très envie de le lire. Mark Z. Danielewski a d'ailleurs confié que La maison des feuilles n'aurait pas vu le jour sans "Haunted", les deux frangins étant très impliqués dans le travail de l'un et de l'autre.
Il y a même une Bonus Track où Mark lit une scène de cul de son bouquin sur l'instru (+ le refrain) d'une autre chanson de l'album. Et vous savez quoi ? Ca déchire. Car c'est super bien écrit et ça colle parfaitement à l'atmosphère de la piste.
L'autre axe, que j'ai mis bien plus de temps à voir, c'est celui du deuil paternel. Ce qui la hante, c'est le fantôme de son père. Poe et Mark ont raconté qu'à la mort de leur père, ils ont découvert de très très nombreux enregistrement audio de lui, qui leur semblait adressé, et qui parfois capturait des moments de leur jeunesse. Une découverte qui l'a, on l'imagine bien, bouleversée, d'autant que sa relation avec son père semble pour le moins compliquée.
"You thought you could keep me from loving
You thought you could feed on my soul
But while you were busy destroying my life
What was half in me has become whole"
(Control)
"The voice of my father, still loud as before
It used to scare me but not anymore"
(Amazed)
Et les enregistrements de son père, elle les utilise tout au long de l'album. Créant même des conversations, dans certaines pistes, où les deux se répondent et ne semblent pas se comprendre.
La puissance thématique que tout cela dégage m'a vraiment absorbé. Plus je fais attention aux textes et plus je les adore. Certains pourraient simplement être lus et avoir la même force en tant que poèmes.
"A terrible thought has moved into my mind
Like an unwanted roommate drunk on wine
It feeds on my happiness, won't pay the rent
I must take proper measures to evict it
A terrible thought has moved into my mind
A giant rat that's nibbling on my pride
It's tearing away my patience and my wits
I must take proper measures to set a trap for it
[...]
It's gonna take a hundred thoughts to make this one disappear
A train like that can travel a soul for years
A terrible thought can have a terribly long career"
(Terrible Thought)
Le tout se termine par "If you were here", une chanson finale où elle semble faire la paix avec le fantôme de son père. Le texte, magnifique une nouvelle fois, est chanté avec une voix doucereuse. J'en chiale, c'est super beau.
"When you were here
You could not feel the value that I placed
On every look that crossed your face
When you were here
I did not know just how I had embraced
All that you hid behind you face
Could not hide from me 'cause it hid in me too"
Ce texte est beaucoup plus long que prévu. Je suis parti un peu dans tous les sens mais j'avais besoin de partager, en vrac, tout ce que j'adore dans cet album. Car Haunted me hante, je crois qu'on peut le dire aussi simplement que ça.
Pour l'instant je ne lui mets "que" 8+ car je trouve qu'il y a quand même un petit temps mort avec la succession de Could've Gone Mad / Lemon Meringue / Spanish Doll, trois chansons très cools en plus mais moins puissantes que celles qui précèdent et celles qui suivent.
Mais je sais que cet album a le potentiel d'atteindre le sacro-saint "Top 10" s'il continue à ce point à m'enivrer.