Heartworm
7.4
Heartworm

Album de Whipping Boy (1995)

Les blessures du cœur disparaissent mais les cicatrices restent. Les gens de Whipping Boy l’ont très bien compris.
Regardez-moi donc cette pochette avec son reflet d’un visage au regard sombre dans un miroir brisé en forme de cœur. Sans oublier ce titre sans équivoque.


Il serait facile remettre en cause la crédibilité d’un tel décorum. Toutefois, après écoute de la musique, tout cela est justifié. Elle a bien été composée par des gens à l’âme en peine et au cœur meurtri.


Pourtant, qu’il est difficile de reconnaître le groupe du ténébreux (et confidentiel) Submarine ! Même s’il subsiste la voix, plus souvent parlée que chantée, de Fearghal McKee et quelques guitares bruyantes héritées de leurs origines shoegaze, la métamorphose est totale. Fini ce rock rageur, froid et aux contours flous. Bienvenue à un nouveau type de rock toujours sombre mais élégant. Assumant plus ses envies pop et s’enrichissant d’arrangements de cordes pour lui donner un surplus de délicatesse.


Ce changement d’habits coïncidant avec l’arrivée de Whipping Boy sur Colombia et Sony, il est ardu de ne pas considérer tout ce remue-ménage comme une manœuvre bassement mercantile de leur part. Sauf qu’Heartworm ne modifie que la forme, le fond reste similaire. C’est-à-dire un rock aux idées noires. Ce quatuor pratiquant une musique sombre ayant réussi à trouver son public à l’instar de Dirt, Mezzanine ou OK Computer. On n’a pas revu ce genre d’événement depuis longtemps.


Car si la musique, accessible, évolue dans des eaux plutôt connues (les influences post-punk et de la jangle pop des années 1980 sont là, même si digérées), les paroles sont d’un désespoir terrible. Parlant de lassitude, de faux semblants (« The Honeymoon Is Over » et son irrésistible montée en puissance), de jeunesse racontée sans fard et avec nostalgie (« When We Were Young ») ou encore d’amour déçu se terminant dans la violence (l’hymne autant puissant que bouleversant « We Don't Need Nobody Else »), elles sont là pour souligner les sombres idées consumant Fearghal McKee. Des pensées tournant souvent (et subtilement) autour des relations amoureuses avec les femmes (ces êtres capables d’être bien plus cruelles que les hommes) et des dégâts qu’elles peuvent provoquer dans les cœurs de beaucoup.


Cependant, si ses textes apportent un autre niveau de lecture aux compositions, il est évident que cette sortie n’est pas marquante pour cette raison. Le rock dit "littéraire" étant terriblement barbant quand il fait passer la musique au second plan et que les textes deviennent une fin en soi.
Heureusement, ça ne se passe pas de cette façon chez ces Irlandais. McKee étant un interprète incroyable. S’il ne possède pas une voix particulièrement originale, ce qu’il raconte est prononcé avec une telle justesse de ton qu’on ne peut qu’adhérer à ce qu’il dit, même si on ne comprend pas un traitre mot de ce qu’il raconte.


Même quand ses lignes de chant prennent des airs pompiers (le tragique « Users » et le chatoyant « Morning Rise »), elles touchent en plein cœur et confirment que ce disque porte bien son nom. Notre poitrine est charcutée de toute part par ces chirurgiens de l’émotion qui ne sont jamais aussi bons que lorsqu’il s’agit d’être fins et subtils. Puisque, contrairement à leur premier album, ce sont les morceaux les plus introspectifs qui tirent leur épingle du jeu. Les plus basiquement rock étant efficaces (notamment « Twinkle » et son refrain en forme de déclaration d’amour sordide) mais ils n’ont pas la profondeur des titres en clair-obscur (« Tripped »). Par exemple, le très distingué « Personality » (et ses inoubliables violons) s’avère être une chanson bien plus prenante avec le temps.


Nick Cave ? Tindersticks ? Heartworm passe devant tous ces singers/songwriters mornes sans la moindre difficulté. Et si on peut trouver les paroles cryptiques et trop alambiquées, la chanson cachée « A Natural » donne une explication sur la confusion des sentiments régnant dans la tête de McKee. Une "ghost track" qui est également une des meilleures compositions de la bande (son final bruitiste épouse parfaitement ces paroles désespérées et fait office de conclusion parfaite). C’est dire à quel point ce disque est précieux et mérite le petit culte qui s’est bâti autour de lui.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
8
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le 20 juin 2017

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