Heaven and Hell fait partie des albums de Vangelis dont je n'aurai jamais fini de faire le tour. Premier album composé, enregistré et interprété entièrement par ses soins dans son tout nouveau studio Nemo, basé à Londres, c'est aussi le premier grand album du compositeur grec. Baroque, lyrique, convoquant des références classiques tout en inventant le prog électronique, ce disque incroyablement riche et inspiré mérite, à chaque écoute, de se poser pour en apprécier les infinies nuances.
Heaven and Hell est une démonstration de la maestria de Vangelis en tant qu'interprète. Les passages de piano du second mouvement de la première partie nécessitent un doigté et une virtuosité qu'il est sans doute l'un des rares, voire le seul à posséder parmi les compositeurs de musique électronique. Du reste, c'est l'ensemble du disque, joué sans doute sans aucun séquenceur (à la différence de Spiral, deux ans plus tard), qui constitue une vitrine éclatante du génie musical de Vangelis.
Présenté en deux grandes parties d'une vingtaine de minutes chacune, Heaven and Hell varie pourtant régulièrement rythmes et ambiances, sans jamais entamer la cohérence de l'ensemble. A la furie de l'ouverture ("Bacchanale" la bien nommée) succèdent les trois mouvements de "Symphony to the Power B", véritable symphonie électronique, impossible à résumer en quelques mots.
Le tout débouche en douceur sur "So long ago, so clear", le morceau qui clôt la première partie, chanté par Jon Anderson du groupe Yes, qui réalise ici sa première collaboration avec Vangelis - avant les albums qu'ils cosigneront dans les années 80 sous le nom "Jon & Vangelis". Émouvante, entre lyrisme et inspiration pop, la mélodie fait partie de celles qui marque les esprits, et devient un "tube" de Vangelis, souvent représenté dans ses (trop) nombreuses compilations.
Beaucoup plus torturée (le versant "Hell" de l'album ?), la deuxième partie ne cesse de surprendre, d'un premier mouvement tout en ambiance dark à un second plus mécanique, avec son espèce de son de guitare pick qui martèle un rythme obsédant sous des coulées d'arpèges fluides.
Puis vient "12 O'clock", sorte de rêverie baroque où des choeurs d'inspiration grégorienne se heurtent à des cloches et des tambours, avant qu'une nouvelle frénésie bacchanale ne perturbe la douceur inattendue du moment. L'échappée, ethnique et brutale, ne dure cependant pas, et les choeurs reviennent, gracieux, majestueux, soutenant la voix de la soprano Vana Veroutis au service d'une mélodie délicate.
Les tambours s'invitent ensuite à nouveau à la fête, dans un bref passage aux sons de cuivres festifs, avant que le doux et émouvant final, presque ambient, ne referme la porte d'un album décidément contrasté, qui se réinvente sans cesse, à l'image d'un Vangelis dont les premières productions ne laissaient pas forcément imaginer une telle capacité à maîtriser des flux d'inspiration divers, et à en tirer une vision musicale d'une densité et d'une cohérence éblouissantes.
Moins abordable peut-être que Spiral, Heaven and Hell est néanmoins un incontournable de la discographie de Vangelis. Un poème électronique dont aucun vers n'est à jeter. Indispensable.