Help! (OST)
7.5
Help! (OST)

Bande-originale de The Beatles (1965)

La transition du rock’n’roll au rock psychédélique ne s’est pas faite en un jour. Pour s’émanciper de leurs racines, les Beatles ont d’abord perfectionné leur variation « Merseybeat » qui fera des émules (Please Please Me, With the Beatles et A Hard Day’s Night), puis se sont mis à rechercher une forme plus générique de musique pop rock (Beatles for Sale et Help!) avant de donner à leur son des teintes proto-psychédéliques (Rubber Soul) qui les amèneront à leur période psychédélique proprement dite (à partir de Revolver).


Ceci reste bien sûr très schématique : en vérité, les albums des Beatles font cohabiter des chansons au style très différents, dont certaines paraissent anachroniques avec le recul (parfois « old », parfois « en avance »). N’empêche. Rubber Soul peut être considéré comme la transition la plus importante du répertoire des Fab Four car c’est leur émancipation la plus marquée vers de nouveaux horizons qui changeront la musique dite « populaire » à jamais. Dès lors, Help! apparaît comme la fin glorieuse d’une ère : celle du pop rock, du beat, du rock’n’roll, bref, de tous ces genres qui ont engendré la Beatlemania et représentent ce que le caustique John Lennon appelle la période « tribale infantile » des Beatles.


Pour la deuxième fois, Richard Lester sollicite les quatre jeunes premiers (âgés de 22 à 24 ans) pour jouer leur propre rôle dans un film. Et pour la deuxième fois, ils acceptent. C’est pourquoi l’absurde mention « OST » est précisée entre parenthèses après le titre de l’album sur SensCritique, bien que l’album soit évidemment bien plus qu’une « bande originale » (les Beatles n’avaient même pas lu le scénario avant de composer Help!). Le tournage est perturbé par des accès de fous-rires car, initiés à la marijuana par Bob Dylan au cours de leur précédente tournée américaine, les Beatles ont plaisir à en fumer au petit-déjeuner. C’est également à l’occasion de ce tournage que George Harrison découvre les instruments indiens, qu’il commencera à introduire à partir de Rubber Soul.


Lassés de la Beatlemania, les Beatles se la jouent plus cool et introspectif. En témoigne le premier titre, « Help! », qui est l’aboutissement ultime du pop rock entraînant de leurs cinq premiers albums dans la continuité des « Misery », « Love Me Do », « A Hard Day’s Night » et autres « Eight Days a Week ». Les 48 autres compositions des Beatles parues sur les 5 premiers albums tournent toutes autour de l'amour et des relations amoureuses, sans exception (je l’ai vérifié !). « Help! » est la première chanson qui ne souscrit pas à la règle : John Lennon y adresse un appel au secours lié à son sentiment de solitude (thème qu’il développera sur « Nowhere Man »). C’est aussi probablement la première chanson des Beatles où l’on trouve un mot de plus de 3 syllabes, « independance » (ça, je n’ai pas vérifié, si quelqu’un veut bien se donner cette peine…).


Les senteurs herbeuses de Rubber Soul ne sont pas encore là, mais Help! ne manque pas pour autant de fraîcheur. « Another Girl » et « You're Going to Lose That Girl » comptent eux aussi parmi les morceaux les plus péchus et réjouissants du style beat de l’époque. Dans un esprit un peu plus tranquille, « The Night Before » est également très agréable mais « Tell Me What You See » donne une impression d’inachevé. Les deux reprises ont en revanche toute leur place sur Help! et participent à la diversité des styles qui y sont entendus : « Act Naturally » voit la voix de Ringo Starr s’adapter parfaitement à un style country et « Dizzy Miss Lizzy » est comme un ultime hommage des Beatles au rock’n’roll.


D’autres titres péchus ont un genre d’énergie assez original, plus éloigné des racines. Ainsi, le country rock « I’ve Just Seen a Face » porte des lignes mélodiques d’une nuance captivante. « Ticket to Ride » se distingue quant à elle par sa rythmique : sur une suggestion de Paul McCartney, Ringo Starr alterne la caisse claire et les toms de façon assez particulière. Ceci, conjugué à la multiplication des pistes de guitares et à son effet fuzz, a conduit John Lennon à la considérer rétrospectivement comme un titre précurseur du heavy metal. Bon, c’est quand même moins flagrant que pour « Helter Skelter » sur l’album blanc… Dans l’immédiat, « Ticket to Ride » semble plutôt préfigurer l’ambiance radieuse de Revolver.


Aussi savoureux que soient les morceaux péchus, c'est sur les morceaux les plus calmes que les Beatles sont véritablement géniaux sur cet album. La folkeuse "You've Got to Hide Your Love Away" est la première « grande » ballade de John Lennon. Inspiré par Bob Dylan, il raconte les déboires d’un homme qui doit cacher son amour par crainte du regard d’autrui. Certains y voient une allusion aux relations extra-conjugales entretenues par John Lennon. D’autres suggèrent que ce dernier l’a écrite en référence aux amours de Brian Epstein, le manager des Beatles, à une époque où les relations homosexuelles étaient non seulement taboues mais aussi interdites en Angleterre. Cette interprétation paraît à la fois plus belle et plus juste.


Relativement sous-estimée, « It’s Only Love » est une autre ballade composée par John Lennon qui fait doucement planer. « I Need You » est quant à elle un pas en avant pour George Harrison. Le guitariste se montre capable de rivaliser avec John Lennon et Paul McCartney sur le terrain des chansons sentimentales. Son caractère plus réservé et hésitant (forme de modestie ?) transparaît déjà dans ses lignes de chant. Le timbre particulier de la guitare est dû à l’utilisation d’une pédale d’expression, une première pour les Beatles.


Enfin, l’un des grands moments de Help! est bien sûr l’avant-dernier titre, "Yesterday". Cette mélodie que Paul McCartney a d’abord entendue en rêve avant de s’entraîner à la jouer au piano sous le titre provisoire de « Scrambled Eggs » (« œufs brouillés »… on préfère la version définitive des paroles !) est sublime. Il n’en revenait pas lorsqu’il a eu la confirmation qu’il n’avait pas plagié inconsciemment l’œuvre de quelqu’un d’autre, et on peut le comprendre tant ce morceau nostalgique respire l’authenticité. Ce n’est pas par hasard qu’il s’agit de la chanson la plus reprise de tous les temps. George Martin, le producteur des Beatles, a eu l’idée d’accompagner la voix et la guitare de Paul par un quatuor à cordes, ce qui marque les prémices d’une orientation vers des formes musicales plus ambitieuses.

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le 21 mai 2020

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