Je m'installe pour l'écoute... depuis que je le connais, chaque première audition d'un nouvel album est un rituel. Un bon verre, un pêtard, une écoute de chaque instant pendant laquelle je ne laisse rien me court-circuiter. J'ai systématisé cette façon de faire depuis 1998 et l'album "paradis païen". Chaque nouvel album, depuis "illicite", m'a plu immédiatement et j'ai pratiquement tout le temps super vite adhéré (mis à part pour "aux héros de la voltige" -1994-, qui de l'aveu de son géniteur est le moins bon de tous, et je suis bien d'accord, ainsi que "coup de foudre" -2010-, qui ne me déplaît pas mais me laisse légèrement indifférent).
J'ai été saisi par Higelin en 1989 (j'avais douze ans), pendant un concert mémorable qui m'avait fichu une pêche d'enfer pour au moins six mois, et je dûs rattraper mon retard discographique pendant les deux années qui suivirent. A presque chaque album découvert, j'étais tout d'abord déconcerté, voire mitigé, puis fasciné, et enfin très souvent conquis.
C'est exactement ce qui s'est passé avec ce nouvel album. J'ai retrouvé des sensations que j'avais ressenties à 14 ans, lors de la découverte d'albums comme "no man's land", "alertez les bébés" ou encore "higelin 82". Higelin m'avait habitué à ma zone de confort depuis "illicite", mais avec ce nouvel album il l'a brisée, m'a dérangé, secoué, excité, énervé, agacé, caressé, épaté. Putaiiiiiin ! La viiiiie, le bordeeel !
J'étais complètement déboussolé, déjà par les textes super forts (TOUS les textes sans exception), le fait que l'on sente la mort rôder dans ce disque comme une ombre et surtout quelques choix musicaux que j'ai trouvé simplistes et parfois chiants (comme "habla quoi", suite d'un seul accord...dur dur pour un musicos qui aime que ça varie harmoniquement !).
Puis, à la seconde écoute, j'ai été fasciné. Fasciné par autant de liberté, de lâchage, du besoin urgent de hurler, même pas l'amour de la vie, mais la vie elle-même. Le spectre de la mort a beau rôder fort dans ce disque, c'est encore la vie qui gagne, et j'ai trouvé ça formidable !
A la troisième écoute, j'ai compris que ce disque était l'un des plus cohérents d'higelin. Même dans "habla quoi", que je n'aime pas trop, le choix de la musique est complètement justifié, comme dans toutes les chansons qui jalonnent cette galette: tendre et aéré pour "elle est si touchante", pulsé et hyper régulier pour "l'emploi du temps", mortuaire et sombre (on se croirait vraiment dans un hosto !) pour "j'fume", emballé et sans ralentis pour "loco loco", country et "grands espaces" pour "lonesome bad boy", linéaire et sans espoir d'obtenir plus pour "habla quoi ?", martial et dérangé pour "le monde est fou", et enfin bouclesque, monstrueux, sans limite, enragé mais tout ausi transcendant pour "à feu et à sang" (et puis quel bonheur, en cette époque troublée où l'on entend (voit) Renaud embrasser un (des) flic(s), higelin rêver de les "prendre par derrière..." !). Tout colle; musique et paroles. J'adore ce soin que les artistes peuvent mettre à la logique d'une oeuvre. Je le réattendais de Jacques Higelin depuis longtemps. Dieu soit loué sauf si je l'achète (Dieu, hein, pas l'album, lui je l'ai déjà !).
A noter, de plus, que quelle que soit la chanson, les arrangements sont osés parfois, et souvent sublimes. Grâce aux beaux Dominique et Rodolphe. Grâce à la belle Edith. Grâce à la grande et belle équipe qui s'est réunie autour du beau Jacques dans cette grande et belle maison d'alsace, pour ce drôle de disque qui ressemble drôlement à un chant du cygne.
Bordel, ça faisait si longtemps qu'higelin ne m'avait pas servi quelquechose qui me bouscule autant que j'en suis encore bouleversé !
Je sais qu'higelin et Bashung s'appréciaient énormément. Cet album me rappelle les risques et les audaces de "l'imprudence" du fameux Alain (même s'il est très différent, bien sûr), tout autant que cette belle pochette, simple, sur fond noir. Mais il me ramène aussi à deux albums tout aussi surprenants d'un autre artiste bien connu dans la sphère higelinesque, à savoir arthur h, avec les albums "l'or noir" et "l'or d'eros"...les connaisseurs, les fouineurs et les farfouilleurs sauront de quoi je parle.
Libre et spontané, C'est un des grands disques qui manquent cruellement de visibilité à notre époque (écoutez Eric Lareine, lui aussi mérite le même genre d'appréciation par laquelle on est dérangé, mais irrésistiblement attiré). Espérons que ce très beau disque gagne ses galons par le seul nom désormais si grand de son auteur.