Dark Paradise.
Après plusieurs albums et EP aux fortunes diverses, dans lesquels elle développait un univers hybride, à la fois pop, R'N'B, et symphonique, "Honeymoon" semble marquer la maturité de Lana Del Rey...
Par
le 18 sept. 2015
21 j'aime
Dès la sortie la sortie d'Ultraviolence en juin 2014, Lana Del Rey semblait déjà penser à la suite en déclarant sa reprise de The Other Woman de Nancy Sinatra comme étant une piste vers son troisième album. Morceau de jazz dans un disque de rock sombre et psychédélique, cet indice avait de quoi semer le doute surtout après le tournant musical aussi grandiose que déroutant que Del Rey avait effectué avec son second opus. Il fut question d'un album de jazz, avec des productions de Dan Heath, Rick Nowels ou Mark Ronson. Puis d'un retour aux sources, un disque dans la lignée de Born to Die (2012). Enfin, après des mois de silence, la réponse est arrivée avec Honeymoon, un disque entièrement écrit et produit avec Rick Nowels, qui est derrière certains des plus beaux moments de la carrière de Lana Del Rey (Summertime Sadness, Body Electric, Shades Of Cool ...), et Kieron Menzies, un ingénieur pour Del Rey et des consœurs (Lykke Li, Nelly Furtado, Dido ...) qui s'offre une première expérience de producteur prometteuse.
Honeymoon rappelle effectivement Born to Die dans son atmosphère ainsi que l'utilisation de beats hip-hop et l'EP Paradise (2012) dans ses productions orchestrales, mais les comparaisons à Ultraviolence sont aussi évidentes qu'il s'agisse de la présence d'une nouvelle reprise de Nancy Sinatra, des clins d'oeil aux Eagles ou l'aussi longue que grandiose introduction qu'est la piste-titre, à l'instar d'un Cruel World même si le genre est clairement différent. Mais c'est en délaissant ces comparaisons que l'on peut véritablement apprécier Honeymoon pour ce qu'il est vraiment : un album complètement différent de ses prédécesseurs, un nouveau chapitre dans la belle carrière que se construit Lana Del Rey.
Contrairement à ses efforts précédents, la chanteuse américaine mise sur des productions plus légères, plus épurées et plus fluides. Les beats de hip-hop viennent résonner mais ne s'imposent pas et les guitares viennent ajouter juste un peu de matière aux violons qui font partie intégrante de l'album. Ces productions pourraient d'ailleurs sembler un peu fade si Del Rey, Nowels et Menzies n'avaient pas penser à ajouter des petits détails très discrets mais qui ajoutent quelque chose d'hypnotisant aux morceaux : une flûte sur Music To Watch Boys To, des trompettes foraines sur Freak ou encore des notes électroniques sur High By The Beach. Ces productions débarrassées de tout artifice permettent surtout de mettre la voix de Lana Del Rey en avant. Si les critiques pointait du doigt sa performance vocale sur son premier opus, sur Honeymoon la chanteuse démontre qu'elle a su évoluer vocalement et semble connaître d'avantage son instrument. Parfois reposée, parfois déchirante, parfois basse, parfois aiguë, la voix de Lana Del Rey offre de la matière et de l'émotion à ses nouveaux morceaux.
La mélancolie est toujours très présente dans l’œuvre d'Elizabeth Grant, ses nouvelles chansons traitants aussi bien de la rupture, que la dépression (The Blackest Day), la mort (Terrence Loves You), l'obsession amoureuse (Religion), le sexe (Freak) ou la violence, des thèmes clés chez Lana Del Rey. La chanteuse aborde également pour la première fois les médias et le public qui l'a détruite et acclamée sur God Knows I Tried ou le percutant High By The Beach (“Boy, look at you, looking at me / I know you don't understand / You could be a bad motherfucker / But that don't make you a man”). Ses influences se font également plus diverses qu'auparavant, célébrant les Eagles sur God Knows I Tried, Billie Holiday sur The Blackest Day et évidemment Nancy Sinatra en reprenant Don't Let Me Be Misunderstood, mais l'artiste s'inspire également de David Bowie et de sa Space Oddity sur Terrence Loves You. S'arrêter sur cette seule piste permet d'appréhender d'une oreille différente l'écoute de Honeymoon. Lana Del Rey, aussi énigmatique dans son écriture que d'habitude, se remémore un amour perdu à travers la musique de celui-ci (du jazz), rien de très inhabituel jusqu'au sample inattendu de Space Oddity, le tube légendaire de David Bowie. L'interprétation change soudainement : que vient faire ici ce sample d'une chanson pop-rock dans un morceau qui célèbre le jazz ? Qui est ce Terrence ? S'agirait-il de Terry Burns, le demi-frère de David Bowie qui l'avait introduit au jazz et dont le suicide a touché l'artiste et sa musique ? Lana Del Rey utiliserait-t-elle l'histoire de Bowie comme d'un miroir pour relater une de ses expériences personnelles ou cherche-t-elle à jouer un rôle ? Les interprétations peuvent aller de bon train et les internautes se font un plaisir d'en proposer des différentes. En tous cas, peu importe ce qu'il signifie, Terrence Loves You représente particulièrement bien l'album : une production très simple et mélodique, une performance vocale toute en sobriété, une atmosphère sereine mais mélancolique, et des paroles et un sens qui vont bien plus loin que l'on pourrait le penser et qui rend le morceau aussi simple qu'il peut paraître fascinant et profond.
Malgré la mélancolie toujours présente, Honeymoon aborde une ambiance plus sereine, plus rêveuse et plus lumineuse qu'auparavant, et qui est particulièrement la bienvenue après le troublant et très lourd Ultraviolence. Pourtant ce ne serait pas mentir de dire qu'il manque un petit quelque chose à cet opus et qui ne le rend pas aussi captivant que ses prédécesseurs. Est-ce lié aux productions plus épurées, à une imagerie moins puissante ou à une continuité un peu trop linéaire ? Lana Del Rey signe avec Honeymoon son ensemble le plus cohérent. Born to Die, Paradise et même Ultraviolence souffraient d'un ensemble inégal. Si ces albums connaissaient des hauts très hauts, ils connaissaient des bas parfois aussi très bas, créant un ensemble pas forcément cohérent et laissant place à des pistes passables. Honeymoon ne souffre pas de cela car le disque est très homogène et ne connait pas de réels bas, cependant il ne connait pas non plus de réels hauts. Seules trois pistes sortent vraiment du lot sans pour autant recréer la magie d'un Summertime Sadness, d'un Shades Of Cool ou d'un Body Electric : on note le planant High By The Beach, seul morceau au potentiel “mainstream” ; le fascinant Music To Watch Boys To, à la production plus travaillée et à l'univers surréaliste ; et l'absolument grandiose Salvadore, sorte de bande-son à une version romantique du Parrain, avec un fond de cinéma italien des années 40. A part ces trois chansons, aucune autre offre un climat aussi passionnant malgré le sens fort de ses paroles.
Si on écoute Honeymoon pour le divertissement et l'émotion, on peut trouver cet album aussi bien réjouissant et agréable que peu passionnant et manquant d'inspiration. Mais si on cherche à l'écouter en profondeur, il se révélera petit à petit fascinant dans son écriture et ses influences diverses, beau dans ses productions épurées et résolument unique. Lana Del Rey n'écoute que ses envies, ne cherche pas à plaire et offre des morceaux intimes où même une reprise de Don't Let Me Be Misunderstood prend un sens personnel, le tout embelli par des paroles mystérieuses et kitchs qui pourraient paraître ridicule dans un autre univers que celui de l'artiste (“Pink flamingos always fascinated me / I know what only the girls know / Hoes with lies akin to me”). La Honeymoon de Lana Del Rey est peut-être moins mémorable que son Ultraviolence, mais elle est tout aussi belle et profonde.
(à écouter : Salvadore, Terrence Loves You, Music To Watch Boys To)
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs albums de 2015 et Les meilleurs albums de Lana Del Rey
Créée
le 16 oct. 2015
Critique lue 417 fois
3 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Honeymoon
Après plusieurs albums et EP aux fortunes diverses, dans lesquels elle développait un univers hybride, à la fois pop, R'N'B, et symphonique, "Honeymoon" semble marquer la maturité de Lana Del Rey...
Par
le 18 sept. 2015
21 j'aime
Lana telle qu'on l'attendait, débarrassée autant des tics RnB de "Born to Die" que de l'horrible production "lynchiano-rock" concoctée par Dan Auerbach pour son "Ultraviolence" largement raté : sa...
Par
le 26 sept. 2015
10 j'aime
3
Lana. Ô Lana. Toi et moi, c'est une grande histoire musicalement profonde, qui dure, et que rien ne semble pouvoir briser. Je t'ai découvert il y a quelques années, un peu par hasard, avec Blue...
Par
le 27 sept. 2015
9 j'aime
3
Du même critique
Beaucoup de choses pourraient être dites par rapport à A Seat at the Table, le troisième album de Solange. Difficile de faire une critique d’un album tellement fort et tellement juste sur beaucoup de...
le 20 oct. 2016
13 j'aime
Que l’on ait apprécié ou pas la direction qu’a pris Bon Iver en 2016 avec son troisième album 22, A Million, il est indéniable que ce projet fut un moment important dans la discographie du groupe de...
le 17 août 2019
6 j'aime
2
De manière générale, il est assez surprenant de se dire que Oxnard, le dernier album en date d'Anderson .Paak, est sorti il n'y a que quelques mois, en novembre 2018. Mais une fois que l'on a écouté...
le 11 mai 2019
6 j'aime