Horse Rotorvator par FrankyFockers
Coil est l'une des émanations de Throbbing Gristle, groupe fondateur du mouvement dit « musique industrielle » dans les années 70 en Angleterre. Après la séparation de ce groupe à l'importance phénoménale dans le milieu underground en 1981, les quatre membres fondateurs ont chacun poursuivi une carrière musicale. Deux d'entre eux ont formé le duo Chris & Cosey, les deux autres, Peter Christopherson et Genesis P.Orridge ont lancé Psychic TV, communauté musicale accueillant de nombreux membres, dont un certain Geoff Rushton. Dès 83, Rushton, rebaptisé John Balance, et Peter Christopherson quittent Psychic TV pour former Coil, qui existe toujours aujourd'hui.
Coil, duo homosexuel revendiqué, mêle la magie noire, le paganisme, des influences littéraires surréalistes, des prises de drogues chimiques abusives, et une étrange communion avec les éléments naturels, tout cela dès le début de leur carrière. Leur musique commence ostensiblement à s'éloigner de la musique industrielle, pour occuper un territoire se situant entre la new wave electro de l'époque (ils sont amis avec Soft Cell et publient une superbe reprise de « Tainted Love » au ralenti) et un néo-classicisme baroque et païen teinté de mysticisme cosmique. Tout cela peut paraître bien étrange mais dès l'écoute de « Scatology », premier opus de 1984, ces concepts prennent forme et la beauté émerge instantanément. En 1987, après trois ans de travail et quelques maxis ça et là égrainés, Coil revient avec un second album, « Horse Rotorvator », encore plus dense, plus abouti, à tel point qu'il reste aujourd'hui pour beaucoup d'amateurs de musique de traverse comme l'un des disques les plus importants du pop rock, terme bien évidemment entendu en son sens large.
L'album s'ouvre par « The Anal Staircase », morceau au titre provocateur renvoyant à l'album précédent ainsi qu'à la sexualité de ses auteurs. Unique single de l'album, c'est un morceau bourré d'énergie malsaine, entraînant, dansant, mais avec la peur au ventre. « Slur » et ses variations orientales, ses sons de cloches et son bruit de vent qui semble frôler les dunes est un titre apaisé, une belle chanson d'amour où Balance fredonne au refrain final un magnifique : And I ask my lover « Do you know where the desert roses bloom and grow ? ». « Babylero », interlude de moins d'une minute introduit la chanson « Ostia (The Death of Pasolini) » dédié à l'immense cinéaste italien, homosexuel, assassiné dans des conditions atroces sur la plage d'Ostie un soir de 1975. Faite d'arpèges synthétiques imitant les cordes d'une guitare acoustique maladroite, la chanson de Coil revient sur le meurtre avec un rare degré d'émotion et de sensibilité. Après un second interlude, « Herald », Coil accèlere le tempo grâce à un « Penetralia » lui aussi sans équivoque, morceau dur, presque barbare, à la rythmique industrielle évoquant sans peine autant de coups de fouet donnés à une échine rebelle. Sombre, dérangeant, mais beau. L'édition CD, la seule facilement disponible, comporte un titre bonus en plein milieu d'album, « Ravenous », aux accents de western morriconien passé à la moulinette expérimentale. « Circles Of Mania » rend hommage une fois de plus à Pasolini, en abordant cette fois-ci le film « Salo », et en évoquant bien entendu le Marquis de Sade. Jim Thirlwell, chanteur de Fœtus, vient y hurler des litanies aussi érotiques que barbares. Puis arrivent les deux chefs-d'œuvre de l'album : « Blood from the air », titre ambiant et expérimental, invoquant la mort comme seul refuge, extraordinairement sombre. L'apaisement se fera sur une splendide reprise du « Who by Fire » de Léonard Cohen presque qu'aussi émouvante et dépouillée que l'originale. « The Golden Section » est ensuite une déclamation parlée et froide sur fond de musique militaire, comme si le combat venait de s'achever et que l'on dénombrait, sur le terrain, le nombre des victimes. Et c'est sans doute pour cela que l'album s'achève avec « The First five minutes after death », un morceau ambiant qui emmène l'auditeur de l'autre côté du miroir et qui, s'il se déroule après la mort, apparaît comme une évidente renaissance.
Voilà un bref tour d'horizon d'un album fondamental, certes assez noir, mais d'une beauté tragique qui transcende son apparent pessimisme. Depuis, Coil continue de pondre régulièrement des albums dont quelques perles aussi magiques que ce « Horse Rotorvator », notamment les deux « Musick to play in the dark » en 2000. Pour la petite histoire, le groupe vient récemment de rééditer l'album dans une version remasterisée avec une pochette plus proche de l'édition originale vinyle (celle qui apparaît ici est celle de la première édition en CD). Sur la pochette de la nouvelle édition, le groupe s'adresse à Stevo, patron de Some Bizarre, leur ancien label, en lui réclamant l'argent que celui-ci ne leur a jamais versé, afin que tout le monde soit bien au courant. Ne pas avoir touché un centime pour un si beau disque, c'est un comble ! Mais c'en est presque plus glorifiant !
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