Du schisme intellectuel virant schizophrène, j'ai commencé à douter de Saez quand de Culture contre Culture il est passé sur les réseaux sociaux pour nous faire sa promo. Qu'était-ce ? Une tentative opportuniste pour rallier de plus jeunes manifestants à son projet ? Un tâtage de terrain en règle pour voir d'où soufflait le vent, en vue de la sortie prochaine d'#Humanité ? L'envie de rallier un monde pourtant si critiqué pour, je le cite, conquérir ces "décharges culturelles" ?
Qui sait... N'empêche que son message demandant, sous un air de chantage numérique, de faire grimper ces "merdes" à 1 million (De followers ? De retweets ?) n'est pas passé inaperçu. La presse s'en est sitôt emparée pour reparler du vieux chanteur fou, du mal-vieilli Saez, de l'ours aigri, hors de son temps : le bougre, il a cru que ça allait fonctionner, il est à peine à 40'000 abonnés....
Et je peine à comprendre comment autant de sites internet (Konbini, Orange musique, moults blogs et j'en passe) ont pu titrer sur son "fail de l'année" en comparant les chiffres sus-mentionnés, espérés ou réels. Comment ne peut-on pas comprendre qu'il s'agit de second degré, qu'il s'agit justement d'un raillerie de cette course aux followers constante qui se joue sur ces réseaux prétendument sociaux ?
Saez a toujours vendu un bon nombre d'albums, se fait tourner un site et une appli de streaming personnel, remplit des zéniths, mais ses chiffres de ventes prouvent bien que le gaillard ne rameute pas des millions (et d'ailleurs c'est tant mieux).
Mais bref, on voudrait bien laisser cette incompréhension du second degré de côté un moment. Après tout, c'est pas son époque, à l’ironie. Y a qu'à voir les régulières montées de boucliers contre les couvertures de Charlie pour capter que bon dieu, de ce côté-là, y a un soucis de compréhension. On voudrait vraiment bien.
Mais voilà que Saez sort P'tite pute. Une chanson hargneuse, pétant la guitare électrique et la batterie comme au temps de J'accuse, critiquant les dérives d'Instagram et de sa jeunesse "influenceuse".
Et la valse des grands titres recommence...
Saez aigri.
Saez hors de son temps.
Saez misogyne.
Sur Konbini, on peut même lire au sujet de ce morceau : "Mais qui es-tu Damien Saez pour insulter toute une génération que tu n’essaies même pas de comprendre ?". Je fais partie de cette génération, j'ai Instagram, je ne suis ni influenceur, ni afficionados des storys-voilà-ce-que-je-bouffe-ce-soir, mais j'arrive parfaitement à comprendre le sens de cette chanson sans y voir une once de misogynie. On y critique la femme objet, sans le moindre doute. On y critique le côté voyeur de l'affaire, le modèle économique qui s'y crée, l'idée que l'on puisse désormais se prostituer en quelques pixels et en vivre, avant, dans quelques années, d'en être recraché faute d'avoir une plastique suffisamment alléchante.
Bref... Saez misogyne, j'en doute.
Saez maître de sa promo, peut-être : le gaillard est devenu TT sur Twitter et tous les journaux ont parlé de lui, en bien ou en mal, qu'importe.
Puis, 30.11.2018 ou un jour avant pour les manifestants, voilà qu'#Humanité sort enfin. Un album relativement court pour l'artiste, 11 titres, 1 heure tout pile. Une première écoute sur Culture contre Culture, puis une seconde. Pas de doute, l'album, bien qu'en dents de scie, me parle.
Et il parle aussi aux maîtres de la bien-pensance, mais pas de la même manière : obsédé par l'Islam, sexiste, misogyne, hors de son temps, aigri... Saez est affublé de tous les vices. Il est nul, mauvais, horrible à écouter.
Bref, je crois que le tribunal des Internet, celui qui a condamné Orelsan pour Sale pute, celui qui condamne régulièrement Charlie Hebdo pour son islamophobie, est le même à jeter son grappin sur Saez. Pour les frileux qui ne comprennent pas que critiquer des religions ne relève pas de l'islamophobie, pour ceux qui ne captent pas qu'une chanson, aussi horrible soit-elle, puisse avoir un tantinet de second degré, pour les partenaires de tous les -ismes, et bien retournez à vos Kenji gentillets, à vos Booba, à vos Kaaris.
Et peut-être qu'un jour vous comprendrez la puissance d'#Humanité, le premier morceau de l'album, l'envolée de La Belle au bois et ses synthés langoureux, le sens de L'Attentat (je vous laisse lire, si vous l'osez, le consternant commentaire au sujet de ce morceau, sur Konbini).
Bref, #Humanité n'est pas le meilleur album de Saez. Mais il signe son retour au bon rock, celui qui envoie. Et moi, je me réjouis juste de retourner le voir en concert.
En écoute sur : www.culturecontreculture.fr