Hymns / Spheres, à l'origine seulement Spheres (Les Hymns ont été rajoutés finalement en ouverture et fermeture du double disque), est là aussi une nouvelle expérience du pianiste surdoué après le fascinant Arbour Zena.
Disons ici que Keith comme à son habitude va improviser... mais non plus au piano mais à l'orgue. Et pas de l'orgue hammond ou du Moog hein, non, non, de véritables orgues d'église. En l'occurrence ceux de Karl Joseph Riepp (1719-1775) à l'abbaye bénédictine Ottobeuren en Allemagne. Et pour cela il impose que le son et la profondeur pure de l'instrument comme du lieu, sa propre résonance qui donne sa force à l'orgue soient conservé. Comme l'indique fièrement Jarrett dans les courtes notes du disque, "No overdubs, technical ornamentations or additions were utilized, only the pure sound of the organ in the abbaye is heard". Il précise aussi que certains effets sonore ne sont nullement obtenu à un quelconque mixage ou autre mais seulement en variant la vitesse des pédales, des touches et des tuyaux bouchés ou non.
Et c'est impressionnant. Complètement organique, voire oui, mystique.
A la différence d'un orgue qui serait joué d'une manière plus classique (et bien plus répandue donc) tel qu'on peut l'entendre chez Bach par exemple, Jarrett joue à sa manière mais, dans sa vision de l'instrument, varie pour faire un pont entre le moderne et le traditionnel. Il ne s'agit pas ici de jouer des suites de notes comme au piano qui peuvent atteindre une certaine vitesse mais de conserver comme on peut le faire à l'orgue souvent, une basse qui crée une structure qui englobe les notes qui vont venir, sachant que ce genre d'effet sonore à l'orgue "reste" dans l'espace (la fameuse résonance du son dans une église). A partir de là, le musicien peut décider de jouer sur le faisceau de son qui s'est crée et non dilué, ou pas. Des climats variés se créent, oscillant entre un état purement contemplatif quand il n'est pas d'un coup d'une rare noirceur.
Pour moi ce fut une grosse claque mais je me doute que ce disque pourra en rebuter certains toutefois. Du coup si l'orgue c'est pas votre truc ou que vous vous attendiez à quelque chose déjà vu de la part de Jarrett, passez votre chemin car cela pourrait vous paraître un peu insupportable. De plus il y a deux disques. Donc deux fois plus de douleurs pour certains, deux fois plus de bonheur pour d'autres. C'est des choses qui arrivent. Mais on se retrouve tous sur un prochain Keith Jarrett dites, sinon ?