Ah, voilà un album de notre ami chameau qui ne se tape pas une particulièrement bonne réputation, plusieurs fans le considérant comme l'un des pires disques du groupe. Mais moi, franchement, je ne le trouve pas aussi dégueulasse que ça, et je vous avoue que je l'aime même encore bien, par rapport à d'autres disques (comme la pop quasi imblairable de Single Factor ou les synthés bien '80s de Stationary Traveller). Certains lui reprochent un son trop commercial, s'éloignant des racines du groupe, mais bizarrement, cette optique-là n'était pas trop critiquée lorsqu'elle se trouvait sur leur opus précédent, Breathless. Le truc, c'est que I Can See Your House From Here souffre d'un manque d'homogénéité plutôt merdique que son prédécesseur n'avait pas, laissant souvent pop rock et rock progressif dans leur contrés respectives au lieu de les mélanger de façon harmonieuse. Si l'album semble en résulter inégal, on y trouve pourtant de très bonnes chansons super sympas (mais aussi deux nadirs très encombrants).


Bon d'abord, la pochette. Putain, je ne peux pas vous dire comme elle me fait rire! Ça parait un peu stupide comme ça, et ce l'est, mais cet astronaute sur une croix, regardant la Terre en disant qu'il sait voir ta maison de sa position, qu'est-ce que c'est marrant! Voilà, il s'agit d'une blague certainement conne, typiquement british, et c'est justement cet aspect qui fait le charme de cette couverture ainsi que du titre lui-même.


L'album s'ouvre avec un morceau qui ne ressemble pas trop au Camel que nous connaissions jusqu'alors, Wait. Mais il s'avère que cette intro est une chanson parfaitement respectable, avec son feel un peu new wave, qui éloigne le groupe en territoire inconnu, mais de façon amusante et parfaitement engageante. Si le refrain n'est pas tout à fait ça, le riff d'intro, la section instrumentale où le claviériste Kit Watkins étale tout son savoir-faire, ainsi que les guitares rythmiques accrocheuses de Latimer font admirablement bien la besogne. La piste suivante, en revanche, démolit les attentes construites par le formidable opener: à part les saxophones toujours au top de Mel Collins, le synthpop répétitif que véhicule Your Love Is Stranger Than Mine est kitsch, superficiel et vraiment trop simple pour me plaire. Les critiques envers ce morceau de la part des fans sont donc, à mon sens, bien fondées. Un autre aspect de ce potentiel single qui m'énerve, mais ce n'est pas la première fois que ça arrive chez Camel, ce sont les paroles gnangnan qui cette fois, cependant, sont bien chantées, pas comme sur Breathless où certains morceaux étaient aussi gnangnan dans le chant. La piste successive n'a désormais plus rien à voir avec celle-ci, c'est au tour de Eye of the Storm, un instrumental définitivement inscrit dans une dimension prog, qui permet à Watkins de montrer les étendues de son talent. Ce dernier est quand même fort et nous ferait quasiment oublier l'absence de notre cher et regretté Peter Bardens, parti l'année d'avant. Après cet intermède très réussi s'ensuit le magnifique Who We Are. Je dois confesser que j'éprouve un plaisir plutôt coupable pour ce morceau; bon, niveau paroles, il est vrai, c'est une chanson d'amour qui n'est pas du tout à la hauteur de Lady Fantasy, mais au niveau musical, c'est une autre paire de manches! L'intro ramène les sonorités du groupe auxquelles nous étions habitués, complètement prog, figurant un jeu de guitare joyeux et allumé (pas trop, non plus) assez classique de Latimer, mélangé à la batterie haletante de Ward, de très haute facture. Puis, c'est un changement d'ambiance totale; l'orchestre fait son apparition pour soutenir un doux et mélodieux refrain qu'entonnera le guitariste avec sa voix grave qui le caractérise. Une très belle chanson, donc, malgré ses paroles un peu gnangnan, avec un côté symphonique très réussi, loin de déplaire. Ce côté symphonique prendra ensuite des dimensions vertigineuses sur le court mais excellent instrumental Survival, composé uniquement de cordes, et qui fait office d'un véritable intermède typiquement prog! La Face B commence par une autre chanson possédant un avis plutôt mitigé parmi les fans, le bien nommé Hymn to Her. Les guitares de Latimer sont au top et Watkins accompagne l'arrangement de façon optimale avec des synthés très atmosphériques qui créent un arrière-plan sonore typique des efforts précédents. Le contraste entre le riff principal et les merveilleuses parties chantées, un poil pop, (où figurent quelques discrètes interventions symphoniques) est assez marquant, un peu comme celui entre l'intro et le corps principal de Who We Are, mais franchement agréable, sans compter le petit pont sympa avec des rythmiques élaborées de la part de Ward. Dans son ensemble, la chanson ne me frappe pas autant que Who We Are, mais reste très très bien orchestrée ainsi que l'une des réussites majeures de ce disque. Les deux morceaux suivants, en revanche, sont assez sub-standards; Neon Magic est un morceau pop rock avec une bonne ligne de basse et une batterie disco évoquant un peu Heart of Glass de Blondie ou I Wouldn't Want to be Like You du Alan Parsons Project, ainsi qu'un super pont symphonique au synthé plutôt réussi. Mais au final, force est de constater que tout en étant sympa, la chanson reste quand même faible. Puis, c'est... oh bordel, c'est quoi cette merde? Remote Romance? C'est Camel qui a fait ça? Non, pas possible! Il doit s'agir d'une expérience menée en studio alors que les deux Andy étaient ivres (Ward commence à se droguer comme un malade à cette époque), une blague, ou la satire d'un potentiel single, tellement nulle et désorganisée qu'au final elle est parfaitement risible! Je n'en dirais pas plus, mais Remote Romance est vraiment un cadeau empoisonné, et le crachât que ce dernier a reçu de la part des fans parfaitement compréhensible.

Et c'est à ce moment-là que le miracle se produisit! Tel un Echoes placé juste après Seamus, les sonorités électroniques complètement ridicules laissent place à l'imposant et euphorique Ice, le meilleur morceau jamais écrit par le groupe (après Lady Fantasy, quand même!); c'est un magnum opus extatique qui touche droit au cœur. L'intro au piano et à la guitare est vraiment hantante, mystérieuse et légèrement mélancolique, exécutée avec finesse par Latimer et Watkins. Puis c'est le drop épique, le rythme lent et hypnotique de Ward, le court solo de synthé, ce long solo de guitare, lent, émotionnel, dramatique, planant et touchant dont je ne me lasserais jamais... L'outro, prolongée, conclut ce voyage éthéré par une douce partie de guitare acoustique posée mais mélodieuse.

Pour une chanson d'une telle envergure, j'aurais écrit des pages et des pages, comme je l'ai fait pour Echoes ou Atom Heart Mother, mais là, c'est différent, car Ice est vraiment un instrumental quasi indescriptible qu'il faut absolument écouter pour saisir la rangée des émotions procurées. Un chef-d'œuvre, qui vaudrait presque à lui seul cet album un peu excessivement boudé...

1) Wait (8/10)

2) Your Love is Stranger Than Mine (5/10)

3) Eye of the Storm (8/10)

4) Who We Are (9/10)

5) Survival (7,5/10)

6) Hymn to Her (8,5/10)

7) Neon Magic (6,5/10)

8) Remote Romance (2,5/10)

9) Ice (10/10)

(Le gras indique ma chanson préférée du disque)

En conclusion, I Can See Your House From Here est un album assez atypique, de la même envergure que son prédécesseur, Breathless, certes de façon (très) bordélique, mais tout aussi convaincant, si pas un tout petit peu plus. Alors oui, il possède deux gros nadirs, le kitschissime Your Love is Stranger Than Mine et le dégueulasse Remote Romance, mais aussi un prodige musical exceptionnel, Ice! Ce mélange entre pop et progressif trouvera un équilibre poignant dans l'album suivant, le magnifique Nude, sorti deux ans plus tard. Pour l'instant, notre petit astronaute crucifié vaut bien un 7,5/10.

Herp
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le 27 oct. 2024

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