En 1976, ce qui était à la base une simple collaboration one-off, The Alan Parsons Project, décida de continuer l'aventure, vu le succès modéré de leur début, le sublime et irremplaçable Tales of Mystery and Imagination. Et alors que ce dernier plongeait dans l'univers horrifique d'Edgar Allan Poe, c'est-à-dire dans le passé, I Robot, nous porte directement dans le futur, dans le monde des robots et de l'intelligence artificielle pour être précis. Notons qu'Eric Woolfson, le véritable architecte du projet, avait initialement l'intention de baser ses chansons sur la série Les Robots du célèbre écrivain Isaac Asimov, qui dut malheureusement décliner sa proposition, bien qu'enthousiaste, ayant déjà vendu les droits de sa série à une chaîne de télévision. Woolfson aimait beaucoup le sujet ainsi que le titre de cette série (I, Robot en anglais) et aurait voulu les garder pour son album: du coup, pour ne pas enfreindre les droits d'auteur, le pianiste enleva la virgule d'I, Robot et élargit les thématiques philosophiques que pouvaient procurer l'univers futuriste des robots et de l'intelligence artificielle. Le ton est d'ailleurs donné avec l'incipit présent sur l'intérieur de la pochette:

I Robot... The story of the rise of the machine and the decline of man, which paradoxically coincided with his discovery of the wheel... and a warning that his brief dominance of this planet will probably end, because man tried to create robot in his own image.

C'est-à-dire, en français

Moi, robot... L'histoire de l'ascension de la machine et le déclin de l'homme, qui coïncida paradoxalement avec sa découverte de la roue... et un avertissement que sa brève domination de cette planète finira probablement, car l'homme a essayé de créer le robot selon sa propre image.

En bref, un incipit plein de sagesse et plutôt prémonitoire et un peu flippant. On s'attendrait alors à trouver des morceaux typiquement progressifs voire expérimentaux... et pourtant, ce n'est absolument pas le cas.

Bon, il est vrai que c'est quand-même cette impression-là que l'on ressent en écoutant la toute première piste, l'instrumental I Robot, qui est un excellent précurseur de musique électronique, tout en restant dans un esprit bien progressif. Commençant par un chant d'allure nordique et un climat futuriste admirablement bien rendu par des synthétiseurs oppressants, le morceau passe ensuite sur un rythme électronique répétitif mais accrocheur sur lequel viendront se joindre successivement, batterie, basse, synthés et guitare, et encore plus loin, de véritables chœurs. Il n'y a pas à dire, cette chanson est une véritable réussite, une expérience tout à fait concluante qui démontre la génialité du Project. La piste suivante est une très grande surprise, qui s'éloigne complètement de tout environnement musical précédemment exploré: I Wouldn't Want to Be Like You est un morceau commercial, pop rock et légèrement funky qui casse la baraque et marque la première intervention du chanteur Lenny Zakatek. Saluons aussi par la même occasion l'excellent solo de guitare d'Ian Bairnson, qui n'est peut-être pas le meilleur guitariste de tous les temps, mais qui reste efficace et aussi la batterie haletante de Stuart Tosh, qui rappelle vaguement celle de Heart of Glass de Blondie. Et pourtant; à travers son riff simple mais entraînant, on se rend compte qu'il demeure toujours une certaine dimension progressive: en écoutant attentivement, on constate qu'il y a pas mal d'overdubs. Some Other Time, qui rebondit directement après le silence soudain d'I Wouldn't Want to Be Like You explore l'un des genres clés du Project: le rock symphonique, qui avait déjà été mis en lumière de façon optimale sur Tales of Mystery and Imagination. Mélangeant synthés, guitares, chœurs et surtout cuivres harmonieusement, créant ce thème principal épique et solennel, tout en restant dans un registre plutôt pop, ce morceau aussi est un chef-d'œuvre, que certains considéreront comme étant le sommet de l'album. S'ensuit Breakdown, d'un registre plus rock, et qui inclut la voix d'Allan Clarke, le chanteur des Hollies, avec sa ligne de basse incroyable et un solo de guitare tout à fait piquant. La piste réussit néanmoins à nous surprendre avec son outro de chœurs imposants, assez inattendu, qui confirme la tendance symphonique du Project, chose qui sera de toute façon répétée sur la chanson suivante, Don't Let It Show, ma préférée de l'album. S'ouvrant sur un orgue apaisant et mélancolique, la douce voix de Dave Townsend (que l'on retrouvera sur You Won't Be There sur Eve) nous berce pendant les premiers couplets avant que n'intervienne la batterie, le piano, la basse et évidemment l'agréable refrain. La chanson change ensuite complètement de registre: l'outro, piano rock et orientée guitares, n'a absolument rien à voir avec la première partie, symphonique et pop. Cette dernière partie est elle aussi extrêmement jouissive, surtout vers la fin avec ces rapides fills de batterie totalement ravissants.

L'impression que me laisse la première face est extrêmement positive: la musique est d'un très très haut niveau, quoique plus accessible que sur Tales of Mystery and Imagination. Au niveau lyrique, les références envers l'intelligence artificielle restent tout de même assez subtiles, et ce n'est qu'en explorant et connectant toutes les chansons de l'album qu'on se rend compte par soi-même de la thématique principale d'I Robot.

Attaquons alors la deuxième face, qui, malheureusement, ne m'a pas autant convaincu. Celle-ci démarre par The Voice, qui représente un peu la même envie expérimentale que l'instrumental d'ouverture I Robot, avec sa mixture intéressante mais un peu ratée de disco et de musique classique. Toutefois, j'apprécie énormément sa ligne de basse, simpliste mais alléchante, et son refrain passé au vocoder: donc esthétiquement, il ne s'agit pas de la meilleure chanson mais sa créativité reste cependant indiscutable. On continue avec le deuxième instrumental de l'album, lui aussi expérimental, Nucleus. Je ne m'attarderai pas trop sur celui-ci si ce n'est que pour vous dire qu'il est plutôt ennuyant et sans intérêt. Day After Day (The Show Must Go On) remonte le niveau avec son riff relaxant et entraînant à la fois, souvent qualifié de "typiquement pink floydien", bien qu'il soit loin d'être la meilleure chanson de l'album. S'ensuit un autre instrumental (si on peut le considérer ainsi), Total Eclipse, cette fois plongeant dans un registre classique, avec ses chœurs qui foutent la trouille et son ambiance apocalyptique. Pas mauvais, mais ce n'est pas un sommet non plus. Le vrai sommet de la deuxième face, c'est le morceau conclusif, l'excellent Genesis ch.1 v.32, le quatrième instrumental qui mélange cuivres et synthés avec un riff de guitare héroïque, quelque peu oppressant, mais d'une splendeur déchirante. Là encore, la référence au monde des robots se trouve dans le titre: étant donné qu'il n'y a pas de vers 32 dans le premier chapitre de la Genèse, la chanson laisse donc insinuer que les robots pourraient éventuellement prolonger celui-ci. Cette piste permet alors de terminer l'album en beauté et d'oublier ainsi les essais peu concluants que sont Nucleus et Total Eclipse.

J'ajouterai aussi un petit mot sur la couverture, qui, comme pour le premier opus du groupe, a été réalisée par l'excellente Hipgnosis, qui effectue décidément les plus belles pochettes d'albums. En l'occurrence, j'ai adoré ce robot stylé placé en plein milieu du Terminal 1 de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle. Ça ne correspond pas tout à fait à l'image que nous offre la musique du disque, mais ça n'en reste pas moins une illustration iconique qui n'a jamais fini de m'émerveiller. Sans hésitation, il s'agit de la meilleure couverture d'un album du Project et peut-être l'une des meilleures réalisées par Hipgnosis.

1. I Robot (10/10)

2. I Wouldn't Want to Be Like You (9,5/10)

3. Some Other Time (10/10)

4. Breakdown (10/10)

5. Don't Let it Show (10/10)

6. The Voice (8/10)

7. Nucleus (6,5/10)

8. Day After Day (The Show Must Go On) (8,5/10)

9. Total Eclipse (6/10)

10. Genesis ch.1 v.32 (10/10)

(Le gras indique ma chanson préférée de l'album)

Au final, je n'affirmerai pas qu'il s'agit du meilleur album du Alan Parsons Project, mais force est de constater qu'I Robot est un très très bon album qui représente parfaitement l'âge d'or du groupe, avec une première face aussi excellente que variée mais une deuxième beaucoup moins convaincante. Pour moi, ce sera un beau 9/10.

Herp
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le 27 oct. 2024

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