La première moitié des années 2010 n’aura signifié qu’une seule chose aux yeux du mélomane amateur de shoegazing : c’est le retour des morts-vivants. My Bloody Valentine, Slowdive, Ride, Kitchens of Distinction, Medicine ou encore Lush récemment… On assiste au plus grand déterrage de cadavres des 90s que l'on ait vu depuis longtemps.


Oui, les premières bandes du shoegaze reviennent et certaines personnes commencent enfin à comprendre que le genre ne pouvait et ne peut pas se résumer aux 3 têtes de gondoles citées précédemment : Il était temps !
Un revival fortement appréciable quand il s’agit de (re)voir ces formations légendaires en concert (c’est le cas de votre serviteur qui a pu voir sur scène le trio de tête au fil de ces trois dernières années), mais qui pousse à adopter une moue dubitative voire un certain dédain dès qu’on arrive à la terrible épreuve de la sortie studio.


Ce n’est pas la peine de se voiler la face : les albums de reformation ou de retour sont mauvais en majorité. Les quelques exemples que chacun sortira de sa caboche n’étant que des exceptions au final. Et quand les disques se révèlent satisfaisants, ils peinent à se montrer à la hauteur de leurs prédécesseurs. Dans ce cas de figure, il n’y a qu’un seul moyen de trier entre le bon et l’anecdotique : sentir la flamme de la passion s’agiter encore dans les compositions de mecs vieillissants. Puisqu’il ne reste plus que ça pour juger de la pertinence d’une musique qui n’a plus la prétention d’inventer quoi ce soit.


Swervedriver n’a pas pu résister à l’appel du retour lui aussi, mais il l’aura fait à sa manière. D’abord par plusieurs concerts à partir de 2008 pendant 5 ans. Jusqu’à l’annonce de l’enregistrement de leur 5ème sortie studio.
I Wasn't Born to Lose You ne s’est donc pas préparé en un jour. Il s’est fait petit à petit, le quatuor s’assurant de la température de l’eau en y trempant qu’un petit doigt de pied pour être certain de ne pas faire une bêtise. Une décision pleine de bon sens et surtout clairvoyante.


Cela n’empêche pas I Wasn't Born to Lose You de ne pas être un chef d’œuvre. On sent bien que les années sont passées et qu’elles sont irrattrapables. L’énergie furieuse des sommets qu’étaient Raise et Mezcal Head est révolue. Surtout qu’une période plus pop avait justement suivie cette ère. Cependant, il vaut mieux assumer ses rides plutôt que de jouer aux jeunots au risque de se retrouver dans des situations gênantes.
Le Swervies nouveau est donc dans la droite lignée de leurs précédents méfaits. Volontiers atmosphérique malgré un réservoir à riffs costauds encore présents. « Everso » est à ce titre une petite merveille. Mélangeant sans complexe des guitares heavy avec des voix assoupies.


De toute évidence, il n’y a pas de secret : si I Wasn't Born to Lose You ne sombre pas dans l’oubli, c’est parce qu’il est mélodiquement de qualité. Que ce soit du côté des guitares (« English Subtitles ») ou des voix (« Setting Sun »), quand ce n’est pas les deux (« Lone Star »), les mecs ont toujours l’art de la ritournelle qui fait mouche tout en étant capables de sortir des sons insensés de leurs grattes.


Étrangement, c’est dès qu’ils montrent les muscles qu'ils se révèlent moins convaincants. « Deep Wound » est ratée. Elle oriente son regard volontiers vers le mémorable « Rave Down », mais peine à soutenir la comparaison car son refrain n’est pas assez bon pour rendre captivant un morceau aussi répétitif. Le problème est similaire concernant « Red Queen Arms Race ». Un poil trop lourdaud pour passionner, même si les guitares dans sa seconde partie sont très inspirées.


Il n’y a pas de quoi être aigri ou trop enthousiaste. Swervedriver délivre un album pas forcément moins bon qu’Ejector Seat Reservation… Il se permet même d’être meilleur sur certains titres. « I Wonder » n’a, par exemple, pas à rougir des empilements de guitares psychédéliques que le groupe a pu accomplir avant. Une musique autant massive que belle. Toutefois, le chef d’œuvre de ce disque est indiscutablement « Autodidact ». La meilleure chanson qu’ils aient écrite depuis… Allez 1993 (oui, depuis Mezcal Head). Une mélodie vocale et à la guitare sublime sur un pattern de batterie puissant. Voici un des meilleurs titres shoegaze de ces dernières années, rien de moins !


Le genre de piste qui fait toute la différence entre un bon disque de retour et le dernier My Bloody Valentine. Tout cela n’est qu’une histoire de flamme qui brûle dans chaque musicien et quand elle est absente, cela ne donnera jamais rien de bien en dépit de n’importe quel type de talent.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 15 oct. 2015

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