Considérant le nombre déjà conséquent de critiques, je ne vais pas m'étaler : depuis plus d'une décennie tout a été dit sur cet album. Cependant, les années passant, son aura et son importance ont légèrement évolué.
Après tout, ce disque qui était le second chapitre de l'incertain projet des 50 états, est aujourd'hui le dernier chapitre officiel de ce projet. Il est aussi, The Avalanche exclu, le dernier album de ce chapitre baroque-patriotique si particulier qu'a incarné dans la folk américaine le travail régénérant de Sufjan Stevens au début des années 2000.
Ce travail que l'on dit baroque, aux arrangements toujours si déments, proches de la musique de chambre américaine, dont on ne discerne plus le nombre d'instruments participant tant les structures sont sophistiquées, et d'une ambition démesurée, portant tout à la fois une une joie guillerette -- souvenons nous de sa reprise de What Goes On -- et d'une dimension évidemment plus lacrymale dans l'approche poétique des sujets (c'est Sufjan quand même), touche ici son apogée.
Pour parler de cette approche à la fois triste et guillerette, patriotique et mythique, on peut choisir de parler de l'excellent, pour son évidence musicale et poétique, Casimir Pulaski Day. Un morceau plutôt bref et direct où l'on traite de la mort et du cancer avec une narration ancrée sur un personnage simple et authentique propre au mythe de l'americana, dans une structure musicale progressive, qui débute sobrement avec quelques accords de guitares avant de se déplier d'abord avec un chœur, un banjo puis une mélodie reprise aux cuivres. La magie opère, ce monde de bible study, de célébrations locales et de maisons chaleureuse que l'on imagine propres aux suburbs de Chicago, s'installe grâce à des évocations simples, un narrateur-personnage et un drame que l'on ne saurait empêcher.
Ce n'est là qu'une chanson dans un très long album qui ne contient pas de superflu -- peut-être que l'on sera moins sensible aux interludes -- et qui se traverse difficilement, comme un paysage surpeuplé, saturé d'idées. Difficile pourtant de nier que cet excès est marqué par le génie -- ce qui peut parler aux mélomanes et moins à l'oreille distraite car le disque est surtout exigeant pour son auditeur.
Il s'agit du meilleur album de Sufjan Stevens, ou du moins, celui qui est le plus proche de son ADN musical tel qu'il s'est révélé au fil des années. Si Carrie and Lowell est souvent plus récompensé, plus remarqué, il n'est pas exactement l'album type de Sufjan Stevens : il n'y cède à aucun de ses penchants baroques et travaille souvent contre son instinct (il faudrait une critique à part entière pour revenir sur le sujet). Alors, dix ans plus tard, je continue de le penser et le dire : Illinois est bien le meilleur album de Sufjan et probablement le meilleur album de la décennie mais ça, ce n'est que mon intuition.