Imagine. Ce n’est pas original pour un sou, mais je ne peux m’empêcher de considérer cette chanson comme la plus belle qui ait jamais été écrite par un artiste pop. Les innombrables écoutes, les passages radiophoniques incessants (à croire que John Lennon n’a composé que ce titre), la force symbolique imposante, rien de tout cela n’atténue la magie délicate de cette chanson en apesanteur, pur moment de beauté simple, consciente de sa naïveté, mais si évidente, si censée, qu’il faut avoir un véritable cœur de pierre ou perdu tout espoir et toute foi pour ne pas être touché et ému par cette musique.
S’il existe une chanson pouvant rivaliser avec Imagine au titre de plus belle chanson de tous les temps, il s’agit sans conteste de Jealous Guy, autre bijou invraisemblable de John Lennon qui plane à une hauteur stratosphérique au-dessus de son répertoire. Ces deux chansons, Imagine et Jealous Guy, ont suffit à elles seuls à établir le culte de John Lennon, mais également à établir la réputation de l’album qui les contient.
Et il est vrai que ces deux titres majestueux constituent en quelque sorte les arbres qui cachent la forêt, tant le reste du disque est plus classique et moins transcendant. On est loin du radicalisme du Plastic Ono Band, John Lennon revient à des titres plus passe partout dans leurs inspirations. Il a beau tenter de renouer avec une certaine rage sur I Don’t Wanna Be A Soldier et Gimme Some Truth, la démarche n’arrive pas à atteindre la quintessence de la cinglante sincérité qu’il assénait avec les chansons de Plastic Ono Band.
La qualité n’est pas forcément moins bonne, mais le mimétisme est un peu encombrant : on n’est pas loin de la redite visible, et forcément, remis dans le contexte et l'atmosphère somme toute plus légers d’un simple album pop fait pour le plaisir, on se retrouve moins touché par la musique, et un long morceau abrasif qui tourne en boucle comme I Don’t Wanna Be A Soldier reste un long morceau abrasif qui tourne en boucle, sans aucune connotation chargée comme peut l’être Well Well Well sur le précédent album, d’autant plus qu’aucune petite bizarrerie dépouillée digne de Love ou Look At Me ne vient contraster avec toute la rage éraillée qui ressort de la musique.
Certes quelques paroles claquent comme il faut, Lennon n'a pas perdu le sens des formules, naviguant toujours entre difficultés quotidiennes et sentimentales (It’s So Hard, Jealous Guy, Oh My Love) et charges politiques (I Don’t Wanna Be A Soldier, chanson qui se résume à son titre, Gimme Some Truth). Je suis particulièrement sensible aux paroles de How ? qui capte à merveille le sentiment de complète désorientation qui peut habiter une personne en proie aux doutes les plus dérangeants (« how can I have feeling when I don’t know if it’s a feeling ? »). Et bien sûr il y a la célèbre attaque en règle contre Paul McCartney, How Do You Sleep, qui est plutôt amusante et fait mouche (« the only thing you done was yesterday »).
On a parfois l’impression que John Lennon a voulu faire un Plastic Ono Band bis, mais la musique et l’esprit n’en sont pas tout à fait à la hauteur. Inutile de chercher un morceau de la trempe de Mother ou de God. Loin de former un ensemble homogène aussi cohérent et percutant que son aîné, Imagine se contente d’être une collection de morceaux qui certes atteint des sommets sur la chanson titre et Jealous Guy mais se contente d’être juste bonne partout ailleurs, sans véritable fulgurance.