« Vous pensiez que Low n'était pas commercial, bonne chance pour vendre celui-ci. » Bowie....

Bertholt Brecht et Kurt Weil ont toujours inspiré les rockers. Alabama Song est un classique repris par les Doors avant d'être chanté par Bowie en live et en studio. La version de September Song par Lou Reed donnerait des frissons à une statue. Bref, une mine d'or que Bowie ne manqua pas de revisiter à l'occasion de la transmission de la pièce Baal en 1982. A la fois acteur d'une pièce filmée pour la BBC, il incarne avec classe un sacré caractère de Brecht, un artiste canaille, en chantant cinq chansons pour fermer le rideau sur la période RCA. En effet, Bowie en était venu à détester sa maison de disque avec laquelle il avait signé au début des années 70. Lié par contrat, Il devait encore enregistrer un album supplémentaire pour le label, mais il a plutôt livré cinq titres sur un EP en guise de "cadeau d'adieu", principalement Baal's Hymn, les quatre autres étant Remembering Marie A, Ballad of the Adventurers, The Drowned Girl et The Dirty Song et The Drowned Girl.

Bowie interprète ces cinq chansons de la pièce de jeunesse de Brecht, chacune associant les paroles originales à un arrangement contemporain de Dominic Muldowney. En enregistrant dans les mêmes studios Hansa à Berlin où travaillait autrefois Kurt Weill, le partenaire de Brecht, Bowie et Tony Visconti, qui connaissaient bien les lieux depuis “Heroes”, ont également emprunté la configuration d'enregistrement préférée de Weill - un groupe de théâtre allemand, un musicien par instrument, tous disposés en demi-cercle, des musiciens âgés recrutés pour créer un vrai son allemand des années 30. Le résultat fut une performance sans compromis considérablement plus fidèle à Brecht que ce à quoi de nombreuses personnes s'attendaient.

Le rôle de Baal nécessitait un interprète charismatique capable d'incarner un personnage ignoble, séducteur cynique et assassin à l'occasion. Le réalisateur Clarke se souvient alors d'avoir vu David Bowie dans The Elephant Man et de se rappeler de la plasticité de ce dernier à incarner des personnages. Alors il est allé le voir en Suisse pour lui proposer le rôle. Comme c'était pour une création de la BBC, Bowie n'avait pas d'autre choix que d'accepter le tarif standard de 1 000 £. John Willett, qui avait traduit le scénario en anglais, fut étonné d'apprendre que Bowie en savait autant que lui sur la période allemande de Weimar et sur Brecht. En effet, Bowie lisait sans cesse à ce sujet pendant son séjour à Berlin au milieu de la fin des années 70, alors qu'il partageait un appartement avec Iggy Pop.

Dominic avait commencé à lire et à faire des recherches sur Brecht deux bons mois avant de s'impliquer avec Bowie. Il expliqua : « À la fin d'un livre de poésie de Brecht, il a écrit quelques petites mélodies que j'ai trouvées et c'étaient des mélodies qu'il aurait jouées à la guitare ou chantées lors de sa première pièce vers 1920 et c'est très intéressant parce que certains de ces airs sont devenus très célèbres 10 ans plus tard dans la Suite Mahagonny . Ce qui était étrange, c'est qu'ils ne ressemblent pas à de la musique, mais plutôt à des petits morceaux de plain-chant et ne sont qu'une seule ligne, juste un fragment de mélodie. Les poèmes de Brecht étaient souvent écrits pour être psalmodiés ou chantés. Deux mois plus tard, David m'a appelé et m'a dit qu'il avait une idée très intéressante pour moi et que j'aimerais vraiment intégrer ces petits morceaux dans des chansons orchestrales parce qu'il pensait que ce serait un excellent moyen pour lui de s'extraire du contrat RCA qui l'obligeait à faire un album supplémentaire. Alors j'ai accepté et mon travail consistait vraiment à les étendre et à les développer et ces petits fragments sont devenus le début de ce avec quoi David s'accompagnait au banjo. En seulement deux semaines et demie, j'ai tout repensé et je les ai composé pour des orchestrations bien plus grandes. David m'a dit qu'il réserverait un studio et je pensais qu'il voulait dire à Londres mais il s'est avéré que c'était un studio qu'il aimait beaucoup à Berlin connu sous le nom de Hansa by the Wall parce que quand on regardait hors du studio on voyait les soldats marcher de long en large, on était vraiment si près du Mur....."Heroes"......

La veille de l'enregistrement, David a emmené Dominic pour une soirée : « Je me souviens que David a dit : « Allez, on va en boîte », a expliqué Dominic. « J'étais plus inquiet de pouvoir passer une bonne nuit de sommeil, mais de toute façon. nous sommes sortis dans trois clubs différents et avons quand même réussi à dormir un peu. Je suis arrivé au studio, un peu avec la gueule de bois, à 10 heures et David n'était pas là et j'ai dit à Tony : « qu'est-ce qu'on va faire ? et il m'a dit 'enregistre'. "Quoi qu'il en soit, nous avons tout terminé le matin, tous les musiciens sont partis après deux heures. Tony était déjà en train de mixer et il n'arrêtait pas de dire : "ne vous inquiétez pas, je peux entendre sa voix." David est arrivé à seize heures, impeccable avec écharpe et chapeau, tout comme Frank Sinatra sur ses pochettes d'album, et ce qui m'a le plus étonné c'est que j'ai appris que David enregistrait tout à l'envers, donc dans ce cas il a enregistré le neuvième verset d'abord, puis le huitième, puis le septième, etc. Je ne sais pas pourquoi."

Tony Visconti : « J'ai l'impression que Baal est un peu négligé. Cette œuvre d'art est notre dernier enregistrement aux studios Hansa (près du mur) à Berlin. La technique inimitable des trois microphones est très évidente, surtout lorsque David chante très fort. Vous pouvez entendre le son caractéristique de l'album « Heroes » dans la réverbération de la pièce que j'ai beaucoup utilisé sur la voix de David et l'orchestre (clarinette, trompette, accordéon, contrebasse, violon, etc.). Dominic Muldowney, notre orchestrateur, fait autorité sur Brecht et a écrit ces arrangements très précieux et authentiques pour élargir la portée des chansons composées par Brecht. David était censé chanter en live avec l'orchestre de Hansa, mais il est arrivé trop tard au studio, juste à temps pour que le dernier morceau soit enregistré. C'était évidemment avant les téléphones portables, donc nous nous inquiétions de savoir où il se trouvait. Il a dormi trop longtemps. Ces enregistrements ont été financés par David et non par le label. Il voulait réaliser tout le potentiel de la musique en les enregistrant correctement. A court d'argent à l'époque, impliqué dans deux procès avec d'anciens managers, c'était un projet qui lui tenait vraiment à coeur. Comme vous pouvez l’entendre, sa voix est excellente. Je ne me souviens plus si nous avons mixé toutes les chansons ce soir-là ou si nous sommes revenus le lendemain, mais cela n'a pas pris longtemps, je les ai toutes mixées lors d'une seule session. La vidéo que David a réalisée à partir d'une de ces chansons est The Drowned Girl, réalisée par David Mallet dans mes studios Good Earth à Soho. Les musiciens « agissant » dans la vidéo ne sont autres que Coco Schwab au saxophone, moi-même à la guitare classique, Mel Gaynor à la trompette et Andy Hamilton à la clarinette. Nous avons également tourné Wild Is the Wind au cours de la même session (les budgets vidéo étaient extrêmement faibles à l'époque). Je dois dire que ce disque n'a pas pris une ride. C'est un enregistrement intemporel. Bowie a toujours aimé le théâtre musical et il a fait la fierté de Bertolt Brecht avec celui-ci."

Amaury-de-Lauzanne
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Créée

le 27 nov. 2023

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