Bon sang, on ne peut qu’imaginer ce qu’aurait donné cette émission de MTV si Bruce avait accepté de jouer le jeu et forcément, on a des regrets. Il avait de quoi nous concocter un des meilleurs Unplugged de l’histoire de cette émission qui a compté quelques excellents moments (Nirvana, Clapton…). Il venait juste de sortir quelques mois plus tôt 2 albums simultanément, sans le E Street Band mais avec une équipe de musiciens de session réputés, « Human Touch » et « Lucky Town » et c’est peu de dire que ces albums avaient déçu les fans, alternant quelques bons morceaux et d’autres faciles à oublier (pas mal au bout du compte). Il se produit donc dans le cadre de l’émission de MTV en septembre 92, un programme incontournable et qui permettait à des artistes à la carrière déjà longue de toucher un public bien plus jeune en revisitant en acoustique quelques-uns de leurs succès. Le problème est que Bruce ne va pas jouer le jeu (il a été le seul à le faire), à la consternation des producteurs de l’émission, impuissants et résignés. Ces derniers quand ils ont vu les guitares électriques étaient en colère mais ont affirmé que quand on a la possibilité de filmer un concert de Springsteen, ça ne se refuse pas, même s’il joue sur des poubelles ! On comprend presque tout de suite que Bruce veut se servir de cette émission et de son audience énorme pour faire la promotion de ses 2 nouveaux albums. Quand l’aspect purement commercial prend le pas sur l’aspect artistique, ça ne peut pas donner une grande performance. Et c’est ce qui va se produire…

Il commence par un morceau inédit, seul à la guitare, l’excellent « Red Headed Woman », une chanson festive, grivoise et drôle qu’il a lui-même décrite comme une ode au cunniling©s ! C’est plus généralement un hommage à sa femme, Patti Scialfa, qui pourrait en effet symboliser cette période, suivant une dépression forte au moment de la dissolution du E Street Band, et la maman à la longue chevelure rousse l'ayant aidé à garder le cap en lui apportant une stabilité qu’il n’avait jamais connue. Là, on se dit, excellent début, la prestation si elle reste à ce niveau, va être fabuleuse. La déception tombe dès la fin de ce morceau d’ouverture quand Bruce accueille son groupe en disant au public : « OK, let’s rock it ! ». Le Boss a décidé que, passé cette intro, il jouerait en électrique à la surprise des spectateurs/trices ! Son groupe se retrouve sur scène, celui de la tournée effectuée pour promouvoir les deux derniers bébés inégaux mentionnés précédemment. Dans ce « nouveau groupe » le seul rescapé du E Street Band est Roy Bittan, « The Professor », qui assure une sorte de continuité auprès des fans et de Bruce. Pour le reste, ce sont de très bons musiciens (Shane Fontayne, Tommy Sims, Zachary Alford…) mais qui à aucun moment ne parviennent à nous faire oublier le groupe de potes du New Jersey qui jouait dans des bars et qui s’est hissé au firmament du rock avec la tournée 84-85. L’absence de Clarence et de sa complicité sans égale avec Bruce fait particulièrement mal. Mais ces musiciens de session ne déméritent pas, c’est juste qu’on ne peut pas remplacer 20 ans d’amitié, de travail acharné (en studio et en concert) et de succès comme ça. La vraie bonne trouvaille pour moi de ce groupe éphémère, ce sont les choristes et en particulier Bobby King, qui apportent aux morceaux une vraie touche soul et gospel. Pour le reste, eh bien, l’étincelle ne se produit pas et Bruce en tirera d’ailleurs les conséquences à la fin (un peu houleuse) de la tournée 92-93 en se séparant de ce groupe. Patti vient en invitée surprise accompagner son mari sur un seul morceau, « Human Touch ».

Le groupe a du mal à convaincre, c’est une chose, mais la setlist aussi et ce sera le cas sur cette tournée, pas déshonorante du tout, le Boss reste le Boss et a offert de très bons moments, mais tellement loin de l’énergie monstre qu’il pouvait dégager avec le E Street Band. Mis à part 4 titres, "Thunder Road", « Growin’ up », "Darkness on the Edge of Town" et "Atlantic City", la totalité de la setlist est réservée aux nouvelles chansons. Et si « Thunder Road » en duo avec Bittan est superbe, « Atlantic City » et « Darkness » sont exécutées à gros volume avec une lourdeur qui se rapproche d’un pachyderme. C’est lourd, oui mais sans la rage qu’il y avait dans les versions d’origine. Prière donc d’oublier les versions dantesques en public qu’on peut entendre par exemple sur le légendaire triple « Live 75-85 »…Attention, l’énergie est là en presque 2h de concert, Bruce sait encore faire parler la poudre et nous procurer de bons moments comme le duo avec Bobby King sur « Man’s job » (vu leurs réactions à la fin, je pense qu’ils ont dû faire pas mal de prises de ce morceau avant de le réussir). Mention spéciale aux ballades qui sont au final vraiment émouvantes, à l’image de « If I should fall behind » et « My beautiful reward ». Et puis, le morceau qui va clôturer la tournée à venir avant les rappels est un inédit, une curiosité, "Light of Day", qui date de 1985, BO du film du même nom qu'il avait écrite pour Joan Jett et Michael J. Fox. Cette intro de batterie, ce déluge de guitares, et Bruce qui y va de sa verve sur la partie centrale, pleine de fausses reprises. Là, ça décape vraiment et le morceau se faisait toujours se lever les salles et les stades dans lesquels il se produisait. En guise d’au revoir, le dernier titre est le seul extrait de « Born in the USA », « Glory days » durant lequel tout le monde se lâche. Bruce embarque même les choristes avec lui pour aller jouer au milieu du public, certains spectateurs se mettent aussi à le suivre ! Heureusement qu’on a quelques bons moments qui nous rappellent la bête de scène que reste Springsteen car pour le reste, la prestation laisse une impression mitigée.

Rêvons juste à ce qu’il aurait pu faire : un répertoire entièrement acoustique avec des classiques réarrangés (pas de « Johnny 99 » « Nebraska », « Open all night », « Factory » ou « My father’s house » dans cette émission, bon sang !!!), plus grave, plus intimiste, moins « balourd » que ces arrangements à la sauce rock FM. C’est ce qu’il fera d’ailleurs lors de ses tournées solo acoustiques de 1995 à 97 puis en 2005, offrant à ses fans des moments absolument magiques. Ce coup-ci, il a loupé l’occasion de faire un grand Unplugged pour un concert certes sympathique et énergique mais qui n’est pas entré dans les mémoires. Et puis, on peut se dire aussi que cette performance est quand même la possibilité d’entendre des titres qu’il n’a plus joués après cette tournée. Il a pourtant repris sur scène au fil des années quelques morceaux de « Human Touch » et « Lucky Town » avec le E Street Band et force est de reconnaître qu’ils donnaient magnifiquement bien !

JOE-ROBERTS
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le 25 sept. 2024

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