Longtemps, on s'est méfié du chant méchant, effondré de ce Canadien, qui semblait psalmodier avec des charbons et chardons dans la bouche, qui en voulait personnellement à la joie et à la vie, au nom d'une dingue et sourde vendetta : un genre de Will Oldham ou de Mark Lanegan mal embouché, un jour de rages de dents et de lettre de rupture – c'est dire la fête. Pourtant, l'écrin réservé à cette encre noire est devenu au fil de sept albums de plus en plus sophistiqué, civilisé, là où le décor idoine aurait dû être friches, déserts et terres brûlées. Malgré l'acidité, la mélancolie ou l'étrangeté de paroles toujours assez bluffantes, sagement reproduites avec ce CD dans une version bonsaï d'un cahier d'écolier, l'ambiance est ici de plus en plus feutrée, apaisée, élégiaque : s'accompagnant d'un piano même pas maltraité ou d'un groupe chaleureux et aérien (voire facétieux), la voix du Canadien a fini de gratter ses croûtes, de trembler dans le noir, se transformant en arme fatale, blanche et tranchante. S'il y avait un peu de place au coin du feu (sacré), on trouverait même un strapontin pour cet album dans le coffret d'archives à venir de son évident mentor, Neil Young. (Inrocks)
Hayden a t-il encore quelque chose à dire ou à prouver ? Après quatre années de silence et malgré une apparition en 2007 dans une bien belle compilation (Folk Music For The End Of The World), ce retour de Paul Hayden Desser est-il vraiment pertinent ? C'est bien la question qui s'est posée lors des premières écoutes de ce nouvel album. L'oeuvre de Hayden a toujours eu quelque chose de sincère comme si on ne pouvait lui reprocher de n'avoir jamais été autre chose qu'un artiste à l'aura un peu plus pâle que celle de certains de ses contemporains. Bien sûr, il est peut-être injuste de voir en lui un second couteau dont les moments de bravoure n'ont suscité qu'un écho limité mais il faut se rendre à l'évidence. Hayden, dans cette veine néo-folk, n'atteindra jamais la grâce d'un Will Oldham ou d'un Bill Callahan. Pas assez torturé, trop propre sur lui, inspiration trop aléatoire, les disques de Hayden n'ont jamais dépassé la mention bien. Voilà, Hayden fait de bons albums mais cela s'arrête là et In Field & Town reste dans cette catégorie un peu bâtarde qui fait de lui un essai à l'envergure mesurée. Là est donc toute la difficulté. Comment encore trouver de l'intérêt à Hayden quand on sait qu'il peine à dépasser ce qu'il sait déjà faire, ce qu'il nous a déjà montré à maintes reprises ? Ce n'est pas la passion qui l'emporte ici mais une sorte de lassitude par rapport à une musique qui a déjà produit ses effets et qui, à présent, ne fait plus office que de placebo. On pourrait presque croire Hayden en bout de course et même si on nous dit que le bonhomme s'est inspiré de Neil Young pour cet album (ce qui peut parfaitement s'entendre sur un morceau comme Did I Wake Up Beside You ?) cela ne change pas grand chose à l'affaire. On reste le cul entre deux chaises et la technique impeccable du Canadien ne saurait véritablement inverser la situation. On nous dit également que Hayden est largement sous-estimé. C'est possible mais ce qu'il serait bien, ce serait de mesurer son talent à sa juste valeur et ne pas le mettre plus haut qu'il ne le devrait. Je ne dis pas détenir la vérité quant à ma vision de ce qu'il fait. Cependant un disque comme In Field & Town ne me conforte pas dans l'idée de l'artiste maudit, incompris de tous.(liability)
Toronto. Son lac Ontario, ses parcs verdoyants surpeuplés d’écureuils, son quartier d’affaires avec ses buildings skyline, ses ours flanqués comme mascottes à chaque enseigne commerçante et ses monuments locaux... tel Neil Young. Difficile si l’on traverse sa ville natale de contourner l’aura de cette légende vivante. Surtout lorsque ce quelqu’un a établi voilà plus de quarante ans les tables de loi du folk-rock neurasthénique à tout un pan du continent nord américain et bien au-delà des océans. On n’ose alors imaginer la secousse procurée par After The Goldrushsur le jeune « local boy » Hayden Deysser. Le Loner posé en guide spirituel - et voisin de surcroît - lui indiquait le chemin à prendre. Un chemin dont Hayden n’a pas dévié depuis ses débuts, il y a presque quinze ans : douce mélancolie rustique enregistrée seule dans son salon. Une musique d’une beauté à la fois rupestre et aussi chaleureuse qu’une buche jetée au feu - les inoubliables Skyscraper National Park (2002) et Elk Lake Serenade...(2004). La méthode d’écriture du songwriter à la voix nonchalante inimitable n’a pas vraiment évolué depuis son premier album, empoignant au gré de son humeur le manche de sa guitare ou un piano usé, pour faire germer ses folk songs. Mais qu’est-ce qu’on aime s’enfoncer dans ses chaussons confortables... Le temps s’écoulant, ce garçon à la tignasse frisée abondante a acquis une bienveillante sagesse et se bonifie. Tandis que lui a pris du recul, la dépression jouvencelle a filé. A tel point que désormais le temps ne compte plus vraiment, entre chaque nouvel album la distance s’allonge - quatre années séparent In Field and Town d’Elk-Lake Serenade (2004). L’année dernière, le multi-instrumentiste s’est attelé durant neuf mois - un record ! - à l’enregistrement de son dernier recueil de folk-songs tranquilles. Inversement, cette attente nous en devient difficilement supportable. Des débuts orageux au milieu des années 90 - il a été un temps associé au mouvement slowcore, pour ses lentes et splendides progressions d’accords -, Hayden s’est ainsi mû en tendre nounours replié dans sa grotte, sans hiberner pour autant. Son chant éraillé en perpétuel vacillement ne griffe plus depuis longtemps, mais émeut singulièrement. Impression accentuée sur In Field and Town, où les touches noires l’emportent sur les cordes d’acier tendues. Ce piano tremblant, quasi-omniprésent, est propice aux vibrantes ballades, telles l’intense “Lonely Security Guard” et la minimale “The Hardest Part”, où cette fois Hayden soliloque, seul au monde. Suspendu à ses notes, le songwriter devient ultra-sensible sur “More Than Alive”, constat optimiste d’après rupture sentimentale. Une chanson qui ne s’efface pas. Des moments enjoués, on en trouve aussi beaucoup, avec des trompettes qui se font plus insistantes que d’habitude et fanfaronnent sur “When and When”. “The Van Song”, histoire pour la route autour d’une relation un peu folle et prise sans distances. Hélas, parti à la recherche de nouvelles sonorités, Hayden s’empêtre ensuite un peu sur “Worthy of Your Esteem” où un synthé somnolant manquerait de nous faire rater le prochain arrêt de bus. Heureusement, le retour aux sources des guitares électriques indomptées et insomniaques, sur “Did I Wake Up Beside You ?”, réveillent magistralement la noirceur de Tonight The Night. Tout n’est pas si noir avec Hayden, l’homme éprouve plutôt de la nostalgie. Les couleurs un peu jaunies d’In Field and Townréconfortent plus qu’elles n’affectent. Scandaleusement sous-estimé, Hayden constuit pourtant une carrière dans la durée. Il est indiscutablement ce qui est arrivé de mieux à Toronto depuis Neil Young. Des musiciens de cette trempe n’ont même pas l’honneur d’être distribué en France. Il y a des omissions qui relèvent du crime de lèse-majesté.(pinkushion)