Salut, confinement, emmerdement donc on écrit un truc sur lequel tout a déjà été dit pour user de son temps inutile.
Après plusieurs EPs et un premier album intitulé On Avery Island, le groupe sort leur second et dernier album « In The Aeroplane Over The Sea », élégamment abrégé ITAOTS. C’est cette sortie qui va propulser Neutral Milk Hotel au rang de groupe culte. Considéré comme un chef d’œuvre, il sera l’inspiration de nombreux artistes après lui.
Malgré des compositions simples (même un débutant en guitare peut jouer chacune des chansons de l’album), c’est l’univers particulier et la narration qui se déroule dans les oreilles de l’auditeur qui en font une œuvre aussi particulière.
Jeff confie à Mike McGonigal en 1998 que la genèse de l’album s’est faite après qu’il soit tombé au hasard d’une librairie sur Le Journal d’Anne Frank, il le lut en deux jours et fit des rêves vifs et récurrents les jours qui suivirent où il y voyait une famille juive à l’époque de la seconde guerre mondiale.
« Next day I walked into a bookstore, and there was The Diary of Anne Frank. I'd never given it any thought before. Then I spent two days reading it and completely flipped out . . . spent about three days crying . . . it stuck with me for a long, long time. »
Evidemment, le groupe n’a jamais explicitement déclaré que l’album était à propos d’Anne Frank dans son intégralité et c’est un raccourci que font bien des fans pour justifier l’entièreté des paroles de l’album.
Celles-ci sont empruntent d’un surréalisme rêveur, parfois teintées d’une imagerie crue de portraits éthérés et difformes. La mort, l’amour, la corruption de l’innocence, la guerre sont autant de thèmes sur lesquels Jeff va dériver au fil des 11 pistes de l’album.
De la ballade folk titre, aux sons distordus, éclatés de Holland 1945 jusqu’à la chanson fleuve épique de Oh Comely !, une spontanéité organique émerge de l’œuvre, véritable cri du cœur rêveur de Mangum.
Cette spontanéité, de leur propre aveu se retrouve aussi dans leur manière d’enregistrer en studio. Très peu d’entrainement et de répétitions, les sonorités sont souvent trouvées en live lors des tournées et tard la nuit, sur la route de leur prochain concert.
Un vestige de cette spontanéité se trouve à la fin de Oh Comely, lorsque les dernières notes se terminent, un franc et tonitruant « HOLY SHIIIIT » peut se faire entendre. Cette voix, c’est surement celle de Scott Spilane, membre du groupe, ou celle de Robert Schneider, le producteur. On ne sait pas trop mais l’intention est là. La partie vocale et acoustique de Jeff a été enregistrée en une seule et unique prise, alors qu’il ne devait jouer qu’un ou deux couplets lors d’un test son. Les membres du groupe, le producteur Robert Schneider, et une dizaine d’autres personnes étaient amassées dans la petite cabine de contrôle adjacente à la pièce d’enregistrement. Une performance spontanée, claustrophobique et unique.
Surement la meilleure piste de l’album, Oh Comely n’a par la suite été greffé que de la corne de Spilane et de petits tweaks de mixage.
Synthétique de l’œuvre de Mangum, cette bête absolue de 8 minutes et 18 secondes conte l’histoire d’une jeune personne dont le père trompe sa femme, avec moult prostituées. Des « flesh licking ladies » dans le phrasé Neutral Milk Hotelien, à la fois innocent et terriblement charnel.
L’idée de profanation de l’innocence se dévoile comme premier thème, et Jeff allie le lexique du mauvais « Bristling and ugly » au beau « pretty, bright and bubbly ».
"All of your friends are all letting you blow
Bristling and ugly
Bursting with fruits falling out from the holes
Of some pretty, bright and bubbly
Friend you could need to say comforting things in your ear"
"So make all your fat fleshy fingers to moving
And pluck all your silly strings and bend all your notes for me
And soft silly music is meaningful magical"
Le laid se mélange au doux, à l’innocent, au magique : ces « fat fleshy fingers » jouent une musique « soft silly […] meaningful magical ».
On passera sur les nombreuses allusions sexuelles qui parsèment le titre, et autres fellations qui extirpent des miracles du narrateur. L’amour se mêle au crade, l’intime est parsemé de dégout. Les rapports amoureux et sexuels sont à la fois beaux et naïfs ; perpétrés dans des jardins fleuris de semence ou encore cachés à l’ombre de la misère familiale.
Le titre fait le lien lors du quatrième couplet vers le sujet principal de l’album.
"I know they buried her body with others
Her sister and mother and five-hundred families
And will she remember me fifty years later?
I wished I could save her in some sort of time machine
Know all your enemies
We know who our enemies are"
Mangum déplore la mort d’Anne Frank, cette juive dont on a enterré le corps avec des centaine d’autres. Il se questionne : va-t-elle se souvenir de moi, qui aimerais la sauver grâce à une machine à voyager dans le temps ? Si seulement je pouvais les prévenir des ennemis qui vont les dénoncer ? La réponse est évidemment non.
Il ne peut que rêver et idéaliser une meilleure finalité au sort de ces millions qui ont péri. Il ne peut que déplorer le vol de la pureté d’Anne Frank, tout comme le père pervertit et traumatise sa famille au travers de ses relations adultères.
Une œuvre spontanée donc, fruit d’un bouleversement sentimental. Cathartique pour Mangum, mais aussi pour ceux qui l’écoutent, l’album a des airs de voyage émotionnel. Toujours dans une interview avec Mike McGonigal, il se questionne :
Do you think this record's lyrics are gonna weird people out?
On pourrait effectivement trouver tout ça perché, mais il est indéniable que cette vision surréaliste de thèmes aussi lourds et adultes vaut la peine d'exister tant elle est originale et pure.
Et a la fin, Jeff a tout dit. Il se lève de sa chaise, pose sa guitare et s’en va.
Il ne l’a pas vraiment reprise d’ailleurs, une vingtaine d’années après. Seuls quelques EP de chansons inédites écrites il y a longtemps et des ressorties d’anciens projets ont vu le jour. Une petite tournée dans les années 2010 et c’est tout.
Salut mon pote, comme dirait Drucker.