I am the Tuesday boy. Born on a Tuesday, reborn on a Tuesday.


Après les départs successifs de K. Gildenlöw, J. Langell puis F. Hermansson et J. Halgren quelques années plus tard, il ne reste bientôt du bel édifice Pain of Salvation que son pilier central, Daniel Gildenlöw, leader, compositeur et tête à penser du groupe. Les tempêtes se succèdent, les unes après les autres, mais Daniel reste à la barre, guidant la barque à travers les flots, car si le groupe de metal progressif suédois doit avoir une âme, c’est bien en cet homme qu’elle s’incarne. Néanmoins, c’était sans compter sur la maladie qui l’affecte début 2014. Alors qu’une fasciite nécrosante met à nu sa colonne vertébrale remettant en cause son pronostic vital, Daniel se voit propulsé dans un lit d’hôpital, et avec lui, l’avenir de Pain of Salvation. Il n’en ressortira que 4 mois plus tard, après des semaines de souffrances et d’incertitudes. On apprend alors, sans surprise, que ce nouvel album traitera de ce séjour en enfer au terme duquel Daniel a dû réapprendre à vivre, et redonner vie au groupe qu’il a toujours porté. In the Passing Light of Day est bien l’album de la renaissance.


La renaissance d’un homme, d’un groupe et d’un genre.



L’album bâtard



Fort d’une toute nouvelle formation, PoS avait annoncé avec ItPLoD un retour au son de ses débuts : le metal. Et c’est un fait, ce nouvel album s’impose comme l’un des plus lourds de leur discographie, en témoigne l’introduction du tout premier morceau On a Tuesday, nerveuse, rageuse, syncopée. Les riffs sont puissants, accentués de relents de djent sur quelques morceaux (Reasons), la batterie tape dur et fort (Full Throttle Tribe) et Daniel Gildenlöw pousse la voix dans un registre guttural qu’on ne lui avait plus entendu depuis longtemps. Le son des premières années est bien là, mais il n’est pas seul.


En effet, ItPLoD porte également en lui la marque Road Salt, quoique plus ténue, en particulier dans ses sonorités rugueuses, sa production saturée et ses compositions dissonantes. C’est un album de prog’ très nerveux, lourd, fortement porté sur une rythmique agressive qui essouffle son auditeur. En ce sens, les premières écoutes sont souvent déroutantes voire inconfortables. Chaque piste demande une accoutumance. Silent Gold et In The Taming of the Beast sont à ce titre les morceaux les plus abordables, simples mais néanmoins efficaces, peut être des portes d’entrée plus facile à emprunter pour un album assez résistant dans l’ensemble. Comme c’est souvent le cas, le dernier-né de PoS ne se livre pas immédiatement à l’auditeur profane (ni à l’habitué d’ailleurs). Il s’apprivoise. Il se dompte. À cette condition seulement, il expose alors son potentiel, et ses morceaux véritablement réussis comme l'excellent On a Tuesday.


Enfin, on décèle dans cette production quelques nouveautés comme l’utilisation du synthé plus présent qu’auparavant, les modifications de la voix de Daniel ou les sons électroniques jusqu’à maintenant assez rares chez PoS. Ce n’est donc pas à un pur retour aux sources que l’on assiste, mais à une synthèse du son PoS, proposant des éléments de tout ce que la formation a pu offrir au cours des années, et quelques autres. ItPLoD est un album bâtard, qui doit autant à l’âge d’or PoS, qu’à la parenthèse Road Salt, ou qu’à l’épisode Scarsick, tout en développant son propre univers, son propre son.



L’album contraste



Enfant de toutes ces influences mixées et entremêlées, ItPLoD apparait finalement comme un album tout en oxymore. Un clair-obscur dans lequel on perçoit rarement la lumière sans l’ombre. Breaks incessants passant de moments calmes à de pures explosions de violence (On a Tuesday, Reasons, If This is the End), chants tantôt murmurés, susurrés, tantôt hurlants et déchirants, moments de résignation précédant ceux de révolte, temps de joies succédant ceux de tristesse et de rage… ItPLoD ne cesse de jouer sur les contraires.


I cry in the shower
and smile in the bed


Tant de contrastes qui dérangent, déroutent d’abord, mais qui, à la manière de ces deux voix, la première chaude et profonde de D. Gildenlöw, l’autre haute et perçante de R. Zolberg, se mêlent en une superbe harmonie
… dans la lumière mourante du jour (tout en oxymore je disais).


I die in the shower
I live in the bed


Un aspect contrasté que ItPLoD doit sans doute pas mal au jeu de Léo Margarit également, formidable sur l’ensemble de la galette (pas étonnant que la batterie soit à ce point mise en avant sur cet album). Sans chauvinisme aucun, il abat un excellent travail de bout en bout avec des lignes remarquables sur On a Tuesday ou Full Throttle Tribe et sa polyrythmie qui tabasse. En relation avec son concept, on devine que l’intérêt porté à cet instrument réside dans la représentation du rythme cardiaque du narrateur : régulièrement, il s’emballe, se désynchronise, rate des battements (contre-temps), faisant sentir toute la tension d’un Daniel au seuil de la mort.


Il s’agit donc d’un album fortement porté sur la rythmique, ce qui n’est pas un mal, mais peut être trop à défaut de la mélodie. C’est mon seul réel reproche à ItPLoD, et ce qui me fait dire qu’il n’est pas de la trempe de RL, TPE ou BE. Les moments mélodiques sont présents bien entendu (Meaningless, Silent Gold, In the Passing Light of Day), mais ils n’ont pas la prestance d’un In The Flesh ou d’un Iter Impius. Ça manque de refrains véritablement marquants, et ce malgré tout le travail accompli. Mon seul regret tant on sait combien le sens mélodique de Daniel est fort.



L’album cathartique



Enfin, comment parler de ItPLoD sans évoquer son concept ? Comment écouter un album de PoS sans le comprendre ? Si je parlais un peu plus tôt de cette batterie qui évoque un rythme cardiaque, ce n’est pas complètement par hasard.


Après le cauchemar qu’a vécu Daniel durant l’année 2014, cette éternité passée à l’hôpital à combattre une vilaine infection mangeuse de chair, enfermé dans une routine multipliant douches anti-bactériennes, opérations et convalescence, alité et forcé de dormir sur un côté pour n’en changer qu’au prix d’une incroyable souffrance, une routine durant laquelle les seuls instants de libération connus sont ces deux secondes d’hallucination qui suivent l’injection de l’anesthésie qui vous propulse dans les ténèbres.


Le traumatisme s’enracine.
Profondément.


Et comme tout artiste, Daniel retranscrit son vécu et son expérience dans son œuvre, l’album de la catharsis. Un album très personnel donc, que l'on sent être davantage celui du compositeur que du groupe, qui raconte ce qui se passe dans la tête de l’homme face à la mort. La vrai mort. Pas cette faucheuse allégorique un peu lointaine, mais celle qui vous tombe dessus sans frapper, menace de vous arracher à ce monde, de vous effacer, et vous rappelle comment vivre.


Our priorities do not change in the face of death, they just intensify.


Pour ceux qui feront l’effort, ItPLoD vous renvoie dans ce lit d’hôpital pour vous lâcher toutes ces questions, toutes ces émotions au visage. S’y succèdent incompréhension, peur, tristesse, mélancolie, regret, espoir, colère, lutte, résignation, et enfin, peut être la pire et la meilleure à la fois : l’acceptation. Je le répète souvent, mais encore une fois, mettre le sens sur un album, le comprendre, c’est la clé qui permet d’en déceler l’essence et les subtilités.


En même temps, le récit de ce traumatisme constitue à la fois une force et un défaut. ItPLoD est un album rageur et brutal, mais en se concentrant autant sur le vécu de Gildenlöw, il semble parfois manquer d’universalité, et être moins engageant pour l’auditeur. Le titre éponyme est assez révélateur de ce problème : un témoignage d’amour réellement poignant de Daniel à sa femme, mais dont il ressort inévitablement une certaine sensation d’exclusivité. L’auditeur est sincèrement touché, mais n’éprouve qu’une forme de compassion, d’empathie, plutôt que les émotions véritablement primaires et violentes que l’on pourrait ressentir avec une identification facilitée.



Conclusion



ItPLoD signe le retour de PoS, retour qu’on avait longtemps attendu. Le groupe, et plus particulièrement son leader, nous livre un album extrêmement sombre, nerveux et déroutant. Manquant parfois de mélodie, il est davantage porté sur la rythmique et le gros son, jouissant malgré tout d’un travail technique et créatif assez convaincant, quoiqu'en deçà de celui de ses ainés. Car il faut bien le dire, si ItPLoD n'est pas mauvais en soi, il souffre malgré tout de la comparaison avec ses illustres prédécesseurs.


ItPLoD s’inscrit comme le second album autobiographique de la discographie de PoS. Il n’est pas anodin d’y entendre le Ending Theme de RL sur If This is the End et In the Passing Light of Day, placé tout en subtilité. Un clin d’œil appréciable, qui prouve aussi qu’après tant d’années, le travail de PoS est toujours aussi cohérent et réfléchi. Par la suite, on s’amuse d’apprendre que Daniel l’a longtemps appelé Remedy Lane II, car c’est bien ce qu’il est finalement : un album très personnel, à chacun de faire l’effort d’y entrer ou pas.

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le 28 janv. 2017

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